À Djibouti, Pékin et Washington en pleine lutte d’influence
Le port du petit, mais très stratégique, pays est-africain que le secrétaire d’État américain doit visiter cette semaine, est au cœur de la concurrence entre les États-Unis et la Chine, qui y a ouvert en 2017 sa première base militaire à l’étranger.
Djibouti, dans la corne de l’Afrique, où le secrétaire d’État américain Rex Tillerson est attendu en fin de semaine, est devenu l’un des théâtres de la lutte d’influence que se livrent la Chine et les États-Unis sur le continent africain.
Pour le chef de la diplomatie américaine, les investissements américains iraient dans le sens d’une « croissance soutenable », quand les investissements chinois encourageraient une forme de « dépendance ».
Dans une lettre adressée au secrétaire américain à la Défense, l’élu républicain à la Chambre des représentants Bradley Byrne s’inquiète de l’influence croissante de la Chine à Djibouti, qui occupe une position stratégique à l’entrée sud de la mer Rouge. Pékin y a en effet inauguré l’été dernier sa première base militaire à l’étranger, forte de 240 hommes, et ce à quelques kilomètres à peine d’une base des forces américaines. Le territoire est-africain abrite aussi des installations militaires françaises et japonaises.
Pékin étend son influence sur le port de Doraleh
Un développement récent est venu accentuer les inquiétudes américaines : le mois dernier, les autorités djiboutiennes ont mis fin unilatéralement au contrat d’exploitation du port de Doraleh qui les liait à DP World, une société basée à Dubaï et comptant parmi les premiers opérateurs portuaires au monde.
Avec cette initiative, dénoncée par DP World, Djibouti aurait la volonté de transférer à la Chine l’exploitation du site portuaire, ont rapporté plusieurs élus américains.
Le général Thomas Waldhauser, commandant des forces américaines pour l’Afrique (AfriCom), a souligné mardi 6 mars, lors d’une audition parlementaire, que l’armée américaine pourrait alors se retrouver exposée à des conséquences « significatives ».
Le risque mis en exergue par le général Waldhauser est que les Chinois, une fois pris le contrôle du port de Doraleh, puissent restreindre l’utilisation des installations et affecter de ce fait les opérations de ravitaillement de la base américaine de Djibouti et des bâtiments de l’US Navy.
« Si les Chinois prenaient ce port, les conséquences pourraient être significatives », a-t-il prévenu aux élus de la commission des services armés de la Chambre des représentants. Quelque 4 000 soldats sont affectés sur la base militaire américaine de Djibouti, dont des unités des forces spéciales. C’est de là que sont lancées des opérations au Yémen ou en Somalie.
Selon le général Waldhauser, les États-Unis ne seront jamais capables d’investir autant que la Chine en Afrique. Mais l’heure est venue d’en tirer les conséquences stratégiques.
« La Chine a pris pied sur le continent africain depuis un certain temps, mais nous n’avons pas géré cela en termes d’intérêt stratégique, nous ne faisons que de petits pas », a ajouté le commandent de l’AfriCom.
Contrer les ambitions de la Chine et de la Russie
Dans sa nouvelle doctrine stratégique présentée mi-janvier, le Pentagone écrit que la compétition entre les grandes puissances, et non plus le terrorisme, est désormais la priorité de Washington en matière de sécurité nationale et ajoute que contrer les ambitions de la Chine et de la Russie est au cœur de cette stratégie.
À Pékin, un porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Geng Shuang, a déclaré n’avoir aucune information relative au terminal de Doraleh. Quant à la coopération de la Chine avec l’Afrique, a-t-il ajouté, elle ne vise aucun parti tiers. « Nous espérons que la partie américaine pourra considérer objectivement et équitablement le développement de la Chine et la coopération Chine-Afrique », a-t-il dit lors du point de presse quotidien du ministère.
La Chine a dépassé en 2009 les États-Unis comme premier partenaire commercial de l’Afrique. Elle reste néanmoins loin derrière Washington sur le plan militaire. Lundi, Pékin a annoncé un coup d’accélérateur dans ses dépenses militaires afin d’avoir une armée de « classe mondiale » à l’horizon 2050. Pékin a dépensé en 2017 un total de 151 milliards de dollars pour son armée, selon un rapport des experts de l’Institut international pour les études stratégiques (IISS), basé à Londres, soit quatre fois moins que les États-Unis (603 milliards).
« La Chine modernise ses forces armées dans une perspective régionale », souligne Juliette Genevaz, de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire française à Paris, « elle ne vise pas à supplanter la domination américaine, qui joue un rôle de gendarme du monde. »
Avec AFP et Reuters