Cameroun : mobilisation inédite du pouvoir et des oppositions autour des listes électorales
Le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, au pouvoir), et les partis d’opposition en vue, sont engagés – de manière inédite — dans la mobilisation des citoyens pour les inscriptions sur les listes électorales au Cameroun. Ils agissent selon des visées et des stratégies différentes. Mais les enjeux sont importants pour un pays dont le nombre d’inscrits est en déphasage avec ses données démographiques, et qui attend les municipales, les législatives et la présidentielle en 2025, selon un calendrier purement prévisionnel.
La question est si importante pour le RDPC, qu’elle fait l’objet de toute une « circulaire » interne au parti, qui avait jusque-là habitué ses militants à produire ce type de documents dans des circonstances exceptionnelles. Preuve que les inscriptions des militants et sympathisants sur les listes électorales sont prises très au sérieux : c’est M. Jean Nkuete, le secrétaire général du comité central, une des instances dirigeantes du parti au pouvoir au Cameroun, qui l’a paraphée, en début d’année, après avoir insisté sur le sujet, lors de sa tournée nationale, fin 2023.
La « circulaire », réputée inspirée de Paul Biya, le président national du RDPC, édicte un ensemble de consignes à l’intention des responsables locaux, à qui la hiérarchie prescrit, entre autres missions : « L’inscription impérative de tous les bureaux des organes de base dans leurs unités politiques respectives », « l’organisation du retrait effectif des cartes d’électeurs par leurs détenteurs ».
« Le militant qui ne s’inscrit pas [sur les listes électorales, Ndlr], commet une faute politique très grave. Sa voix ne compte pas, il ne sera d’aucune utilité pour le parti en cas de scrutin. Il dépouille donc le parti d’une chance d’accroître suffrages. Par ailleurs, parce que non inscrit, il n’est pas non plus éligible. C’est donc un refus d’être candidat du parti et de pouvoir le représenter au sein des organes de gestion politique de l’Etat », n’a cessé de marteler Benoît Ndong Soumhet, conseiller spécial au comité central du RDPC.
Depuis lors, à la faveur des activités de routine, les responsables des unités politiques locales du parti au pouvoir, mettent systématiquement un point d’honneur à rappeler aux militants l’impérieux devoir de s’inscrire sur les listes électorales. Sur cette même question, les partis d’opposition ne sont pas en reste.
Les oppositions s’activent
Le Social Democratic Front (SDF, longtemps considéré comme le principal d’opposition) incite ses militants à s’inscrire sur les listes électorales. Depuis deux ans, le parti dont John Fru Ndi a été le président pendant plus de trois décennies avant sa disparition, a pris une résolution : « Pour être membre du SDF, il faut être inscrit sur les listes électorales », explique Joshua Osih, actuel président de cette formation politique. « Au 15 décembre, nous nous sommes assurés que le SDF disposait des représentants dans toutes les 360 Commissions locales d’ ELECAM [ Elections Cameroon, organe en charge de l’organisation, de la gestion et de la supervision du processus électoral et référendaire, Ndlr] qui s’occupent de la révision des listes électorales. Nous avons demandé à toutes les 360 circonscriptions de se concentrer sur les inscriptions. Nous menons par ailleurs des actions spécifiques avec nos partenaires de la société civile. Nous avons même institué une prime de 100.000 FCFA [ 150 euros] pour chacune de nos structures qui assure 1 000 inscriptions », détaille l’ancien candidat du SDF, classé quatrième à l’élection présidentielle d’octobre 2018, remportée par Paul Biya, face huit concurrents.
Présidé par Maurice Kamto, deuxième à ce scrutin, le Mouvement pour la renaissance du Cameroun, (MRC), est lui aussi engagé dans la bataille des inscriptions sur les listes électorales. « J’appelle les Camerounais à s’inscrire massivement sur les listes électorales et d’aller voter le moment venu, surtout protéger et défendre leurs votes. J’ai abrégé ces actions par le sigle IVSD, c’est-à-dire, s’inscrire, voter, surveiller et défendre. Si nous le faisons, alors notre victoire, c’est-à-dire celle des Camerounais de toutes les régions et de tous les bords politiques qui veulent le changement, est certaine », affirmait M. Kamto, en décembre 2023.
Depuis lors, les équipes du MRC se sont mises au travail. « Nous avons donné les consignes à toutes nos structures à la base, pour consacrer au moins 80% de leurs activités aux inscriptions sur les listes électorales. Des programmes ont été élaborés dans ce sens, en concertation avec ELECAM pour l’organisation des descentes dans les quartiers », assure un officiel de ce parti, qui a habitué les observateurs à la publication des chiffres témoignant de ses actions en matière d’inscriptions sur les listes électorales.
Très engagé aussi pour les inscriptions sur les listes électorales : le Front pour le changement au Cameroun (Fcc) présidé par le député Jean-Michel Nintcheu, démissionnaire du SDF, et dont les lieutenants parlent d’une « stratégie de maillage territorial ». À en croire Jean-Robert Waffo, un proche du président, « le FCC a désigné ses représentants à toutes les commissions locales d’Elecam. En dehors de cette voie officielle, nos militants et sympathisants ont également reçu des consignes de communiquer en permanence, via les réseaux sociaux, sur les descentes des équipes chargées de la révision des listes électorales ».
Des religieux se mobilisent
Fait marquant : la mobilisation en vue des inscriptions des citoyens sur les listes électorales n’est ni l’apanage des partis politiques, ni celui d’Elections Cameroon. Fin 2023, le père Ludovic Lado, un religieux catholique, a lancé le mouvement « Servir ». Cette initiative qui n’est pas au stade actuel un parti politique, selon son promoteur, n’est pour autant pas dénuée d’arrière-pensées en lien avec l’élection présidentielle prévue en 2025. « Le renouvellement de la classe politique camerounaise, explique le jésuite camerounais, constituera une bouffée d’oxygène pour le Cameroun qui étouffe sous le poids de 41 ans de règne d’un régime à bout de souffle et principal responsable de la descente aux enfers du Cameroun ». Et de se faire plus explicite : « Les chrétiens doivent s’engager politiquement et massivement pour rendre possible ce changement. Pour cela, ils doivent, dans un premier temps, s’inscrire massivement sur les listes électorales en 2024 pour se préparer à voter massivement en 2025 ».
Depuis de longues années, le Cameroun, aux dires des experts, ne parvient pas à assurer les inscriptions sur les listes électorales, à hauteur de son potentiel démographique. Illustration, à partir des deux précédents scrutins présidentiels : « En 2011, le nombre d’inscrits était de 7 497 279 personnes pour une population estimée à 21 021 472 personnes, soit un taux d’inscriptions d’environ 35%. En 2018, le nombre d’inscrits était de 6 648 334 personnes pour une population estimée à 26 363 383 personnes, soit un taux d’inscriptions d’environ 25% », selon une note d’analyse du cabinet Geomatric Strategy, basé à Yaoundé. Selon les chiffres officiels d’Elections Cameroon, au terme de la révision des listes électorales de l’année 2023, le nombre d’inscrits était de 7 361 875 personnes. Les observateurs attendent de connaître l’impact de la mobilisation tous azimuts déployée par divers acteurs sur ce chantier de haute importance politique.