Au Mali, la coalition de groupes armée du nord CSP-PSD a revendiqué une attaque meurtrière, le 12 septembre, contre les forces armées dans la ville stratégique de Bourem. Cet événement laisse craindre le retour d’une guerre ouverte dans cette région, d’où était partie en 2012 l’insurrection contre le pouvoir central.
Dans le nord du Mali, les anciens groupes rebelles ont repris les armes. Alors que les tensions couvaient depuis plusieurs mois entre ces derniers et les militaires au pouvoir, le Cadre stratégique permanent (CSP-PSD), coalition de mouvements politiques et militaires du nord, à dominance touareg, a confirmé avoir mené, mardi 12 septembre, une attaque « anticipative » contre « l’armée malienne » ainsi que ses « partenaires » de Wagner dans la ville de Bourem.
Quelques jours plus tôt, l’organisation qui inclut la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) avait prévenu qu’elle agirait désormais en “légitime défense contre les forces de la junte”, qu’elle accuse d’avoir violé à plusieurs reprises l’accord de paix, signé avec l’ancien gouvernement en 2015.
Cet accord prévoyait le désarmement de ces anciens groupes rebelles et l’intégration de leurs membres au sein de l’administration malienne ainsi qu’un élargissement des pouvoirs politiques de cette région du nord, appelée « Azawad » par les ex-rebelles, sans lui accorder pour autant de statut autonome.
Si les bilans avancés divergent, ces violents affrontements ont été corroborés par l’État général malien, qui affirme avoir repoussé une « attaque terroriste complexe ».
Cette reprise des hostilités ravive de douloureux souvenirs au Mali, où l’insurrection de groupes touareg et jihadistes dans le nord avait conduit la France à intervenir en 2013 pour stopper l’avancée des islamistes vers Bamako. Elle résulte d’une accumulation de tensions liées à la rupture des pourparlers de paix, alors que le retrait des forces de la Minusma est en cours et que le nord du pays est frappé par une recrudescence d’attaques jihadistes.
Accord d’Alger en berne
L’appel à la « résistance » des groupes du nord et à la mobilisation des populations locales face à l’armée malienne marque de facto la fin de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, dit accord d’Alger.
Ce pacte conclu après la reprise en 2014 par les groupes rebelles de plusieurs localités du nord, dont la ville de Kidal, visait à éviter le fractionnement de l’État, tracer un chemin vers la réconciliation nationale et garantir la paix.
Si sa mise en marche a été difficile, quelques avancées avaient été réalisées sous le gouvernement d’Ibrahim Boubacar Keita avec notamment le déploiement, en 2018, du Mécanisme opérationnel de coordination (MOC), force rassemblant d’anciens rebelles et des membres de l’armée.
Depuis l’arrivée des militaires au pouvoir, lors du double coup d’État d’août 2020 et de mai 2021, les discussions sur la mise en place de l’accord se sont graduellement tendues, jusqu’au point de rupture. Fin 2022, le CSP-PSD a suspendu sa participation aux instances de suivi de l’accord, dénonçant “l’absence persistante de volonté politique des autorités de transition” quant à son application.
La revanche des militaires
Arrivé au pouvoir le 6 juin 2021, peu de temps après le second putsch militaire, le Premier ministre, Choguel Maïga, avait préconisé ce qu’il appelait une application “intelligente” de l’accord, estimant que certains articles devraient être rediscutés. Mais dans le même temps, la politique ‘souverainiste’ du gouvernement de transition a attisé la méfiance des anciens rebelles, percevant les discours sur la reconquête territoriale comme une menace à leur encontre.
“Il faut prendre en compte le contexte de la signature de cet accord, il intervient après la reprise d’hostilités dans le nord, en 2014, au cours de laquelle les groupes touareg ont infligé une défaite cinglante aux forces maliennes” rappelle l’ancien ministre malien de la Justice et des droits humains Mamadou Ismaïla Konaté. “Cet accord a été signé dans la douleur par le pouvoir de l’époque, il s’agissait alors de sauver le Mali. Mais depuis, la situation a changé. Les militaires ont pris le pouvoir et se sont lancés dans une quête effrénée à l’armement avec la volonté de prendre leur revanche. Contrairement aux termes de l’accord, le pouvoir actuel ne fait pas de différence entre les groupes signataires et les jihadistes, qu’ils considèrent tous comme des terroristes. Leur optique est la reprise du territoire par la force”.
La France et la Minusma perçus comme « des obstacles »
Cette différence d’appréciation sur la question touareg est également au cœur de la dégradation des relations entre Bamako et Paris. En 2013, lorsque les forces françaises étaient intervenues à la demande du Mali, dans le cadre de l’opération Serval, elles avaient empêché les forces armées maliennes d’entrer à Kidal, affirmant craindre que des exactions soient commises. Une décision très mal perçue dans le pays car considérée comme une ingérence dans ses affaires internes.
« Cet épisode est resté dans la mémoire des Maliens comme une forme de blessure » analyse le sociologue malien Dr Amara Mohamed, auteur de « Marchands d’angoisse : le Mali tel qu’il est, tel qu’il devrait être » (éd. Grandvaux). « Il a alimenté l’idée selon laquelle Barkhane serait en fait une force d’occupation. Ce discours a pris de l’ampleur avec l’arrivée des militaires au pouvoir et a contribué à enflammer les tensions entre les groupes signataires du nord et Bamako. Car derrière les accusations d’ingérence visant la France, il y avait en sourdine ce soupçon de soutien aux groupes touareg, bien que celui-ci n’ai jamais été prouvé ».
« Les militaires au pouvoir percevaient la présence de Barkhane mais aussi de la force onusienne Minusma comme un obstacle pour la reconquête du territoire, il fallait donc les faire partir », juge pour sa part Mamadou Ismaïla Konaté.
Depuis l’officialisation du départ des casques bleus fin juin, l’armée a pris possession des bases de l’ONU dans le nord du pays. Une situation jugée inacceptable par le CSP-PSD, qui dénonce une violation des arrangements sécuritaires de l’accord.
La progression de l’armée malienne dans le nord a donné lieu à plusieurs accrochages entre les militaires et les groupes armés signataires de l’accord au courant de l’été. Ces derniers accusent notamment les FAMA (Forces armées maliennes) d’avoir ciblé leurs positions à Foyta, Ber ainsi que Gao. Dans le même temps, les jihadistes affiliés à Al-Qaïda, également présents dans la zone, ont multiplié les attaques visant l’armée, la Minusma ainsi que les civils.
« Nous sommes de retour dans le contexte insurrectionnel de 2012 » estime le Dr Amara Mohamed. Pour le sociologue, l’attaque de la base militaire de Bourem, mardi, par les anciens rebelles marque ‘un point de non-retour’. « Elle entérine la reprise des hostilités entre les deux camps et est une preuve supplémentaire, s’il en fallait, que l’accord de paix est caduc » souligne-t-il.
Une analyse partagée par Mamadou Ismaïla Konaté. « L’attaque de Bourem, bien qu’elle ne se soit pas soldée par la prise de la ville par les anciens rebelles, est un signal fort. Il n’y a pas eu depuis de main tendue vers un dialogue, les deux parties campent sur leur position et sont préparées à faire la guerre ».
Au lendemain de l’attaque, l’armée malienne a affirmé avoir procédé à plusieurs frappes contre des cibles terroristes dans le nord du pays. Le président de la transition, Assimi Goïta, a par ailleurs annoncé l’annulation des festivités pour l’anniversaire de l’indépendance du pays, le 22 septembre. Il a été décidé que les fonds prévus iraient aux victimes du terrorisme.