Après Moscou mi-juin, le président algérien est depuis lundi à Pékin, sur invitation de Xi Jinping. Cette première visite d’État d’Abdelmadjid Tebboune en Chine, la première depuis une quinzaine d’années pour un président algérien, comporte bien des enjeux : économie, candidature aux Brics, diplomatie… À moins d’un an et demi de la présidentielle, le chef de l’État veut montrer l’image d’une Algérie à l’offensive.
« La Chine, premier partenaire de l’Algérie devant la France »
Le but de cette visite était d’abord une façon d’entériner les relations commerciales entre le pays d’Afrique et le géant chinois et d’étendre ce partenariat à de nouveaux domaines : dix-neuf accords ont été signés entre l’Algérie et la Chine dans les secteurs du commerce, des télécommunications, du transport ferroviaire ou de l’agriculture.
Le partenariat économique entre les deux pays est déjà très important, commente Brahim Oumansour, directeur de l’Observatoire du Maghreb à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). « L’année dernière, les deux pays ont signé un gros contrat visant l’exploitation et la transformation du phosphate algérien avec la création d’une coentreprise entre les deux États. Un projet de sept milliards de dollars ».
« En Algérie, la Chine a raflé par le passé plusieurs projets d’infrastructures », poursuit le chercheur, énumérant les projets colossaux, de l’élargissement de l’aéroport d’Alger, à l’autoroute est-ouest, en passant par la construction du nouveau bâtiment du ministère des Affaires étrangères.
Dans le secteur militaire, la Chine est le deuxième fournisseur d’armes après la Russie.
Cette visite en Chine « s’inscrit dans la volonté de renforcer cette coopération économique sino-algérienne qui n’a cessé de s’intensifier ces vingt dernières années « , explique Brahim Oumansour. « La Chine est maintenant le premier partenaire de l’Algérie devant la France avec 17 % de parts du marché algérien pour la Chine et environ dix pour la France. », détaille-t-il.
Alger cherche à redynamiser son économie après une longue période de récession et affiche une volonté de pousser l’investissement chinois afin de « diversifier sa production en Algérie pour sortir de sa dépendance liée aux hydrocarbures qui représentent 60 % des revenus et 97 % de ses exportations », conclut le chercheur de l’Iris.
Quels intérêts pour la Chine ?
Pékin aussi a quelque chose à tirer de cette rencontre : diversifier ses sources d’approvisionnement en énergie. La Chine produit elle-même du gaz, mais pas suffisamment pour sa consommation et ses importations représentent plus de 40 % de ses besoins.
En mai, des dirigeants de Sonatrach, l’entreprise pétrolière et gazière nationale algérienne, s’étaient déjà rendus en Chine pour discuter de la coopération énergétique, selon l’agence de presse publique algérienne, Algérie Presse Service et, surtout, signer un juteux contrat de livraison de gaz avec leurs partenaires chinois.
Cependant selon Brahim Oumansour ce n’est pas seulement pour le gaz que la Chine porte un intérêt particulier à l’Algérie. D’abord, « le pays regorge de minerais comme le phosphate, le fer et des terres rares. », explique l’expert, mais surtout « l’Algérie se trouve à la fois aux portes de l’Afrique et du marché européen, ce qui est très stratégique dans son projet de nouvelle route de la soie », analyse le chercheur, faisant référence au pharamineux projet chinois de constructions d’infrastructures portuaires, ferroviaires, terrestres dans le bassin méditerranéen.
Objectif Brics
À un mois du sommet du groupe des puissances émergentes et après le feu vert russe, Abdelmadjid Tebboune est venu solliciter l’appui de Pékin pour son adhésion aux Brics.
C’est d’abord un enjeu personnel pour le président algérien, selon Stéphane Ballong, rédacteur en chef Afrique à France 24. « La principale raison est politique : le président Tebboune arrive à la fin de son mandat, il y a une élection en décembre 2024, il est donc très important pour lui de redorer l’image de son pays sur le plan international. »
Le soutien de Pékin est d’autant plus important que la candidature d’Alger soufre de quelques faiblesses. Économiquement, l’Algérie a du retard à rattraper pour pouvoir pousser la porte du club des grandes puissances émergentes. « Si on compare aujourd’hui l’Algérie aux Brics, sur le plan de l’industrialisation et du commerce international, le pays est un petit acteur par rapport aux puissances des Brics », décrit Stéphane Ballong. « Par exemple, en 2021, les exportations algériennes se chiffraient à 19 milliards de dollars et l’Afrique du Sud, qui est pourtant le plus petit exportateur des Brics, faisait trois, voire quatre fois plus que l’Algérie. «
Le directeur de l’Observatoire du Maghreb, Brahim Oumansour, concède lui aussi des fragilités au dossier algérien : » Il y a une faiblesse de la production locale et des réformes structurelles à faire (bancaires, infrastructures portuaires, aéroportuaires, ferroviaires etc.). De plus, le pays a des retards dans l’intégration du marché mondial notamment en ce qui concerne l’échange en devises ».
« L’Algérie a de très bonnes relations avec la Russie, la Chine et l’Afrique du Sud. Reste à convaincre les Brésiliens, avec qui les Algériens ont des relations que l’on peut qualifier d’amicales dans le cadre de la solidarité des pays du sud », analyse Brahim Oumansour. « Mais pour les Indiens et les Brésiliens, elle va devoir apporter des garanties de réformes structurelles importantes si elle veut rentrer dans les Brics. », assure le chercheur, concluant en ces termes : « l’Algérie a ses chances, mais ce n’est pas gagné d’avance ».
La candidature algérienne dans les Brics n’est donc pas certaine d’aboutir mais pour Stéphane Ballong, le pays aurait ses chances face à la volonté d’élargissement des Brics à l’Afrique. Elle se traduit d’ailleurs par l’invitation de pays non-membres à leur sommet virtuel, comme avec l’Égypte et le Sénégal en 2022. Cette année, Alger était invité.
Le club des « non-alignés »
Avec les Brics, l’Algérie veut montrer sa volonté de faire contrepoids aux puissances économiques occidentales dominantes. « C’est d’ailleurs un peu ce qui définit le groupe des Brics », continue le spécialiste de l’Afrique, « cette volonté de sortir d’un monde unipolaire représenté par les accords de Bretton Woods, [accords destinés à organiser le système monétaire international après la Seconde Guerre mondiale, ndlr], et de créer un monde multipolaire. »
« Abdelmadjid Tebboune a d’ailleurs exprimé cette volonté », poursuit Stéphane Ballong, « lorsqu’il a présenté sa candidature aux Brics, de sortir d’un monde unipolaire et de créer un nouvel ordre mondial ».
Et c’est pour cette raison qu’Alger a toujours maintenu de bonnes relations à la fois avec plusieurs pays européens et avec Moscou, malgré l’invasion de l’Ukraine par la Russie. L’Algérie était d’ailleurs parmi la vingtaine de pays africains qui s’étaient abstenus lors du vote du 2 mars 2022 à l’ONU visant à sanctionner l’intervention russe en Ukraine.
Le 15 juin dernier, le président algérien, en visite d’État en Russie, s’affichait aux côtés un Vladimir Poutine. Une « affirmation de la part d’Alger de ne pas céder à la pression occidentale et de maintenir sa posture d’équilibre. », analyse Brahim Oumansour. « L’Algérie a accepté de renforcer ses livraisons de gaz à l’Europe, via l’Italie, tout en maintenant ses partenariats et une distance vis-à-vis de l’Ukraine ». À voir aussiAlgérie : le président Tebboune en visite d’État en Russie à l’invitation de Poutine L’enjeu était d’ailleurs de taille pour Alger, qui venait d’obtenir le soutien de Moscou à sa candidature aux Brics. Après la Russie, la Chine s’était déjà déclarée, par la voix de son chef de la diplomatie, favorable à l’adhésion algérienne aux Brics. Suite à ce déplacement à Pékin, Abdelmadjid Tebboune peut se féliciter d’un succès diplomatique, la Chine l’a cette fois confirmé : elle soutiendra la candidature de l’Algérie.