«L’Afrique a compris l’importance de miser sur le spatial», dit l’astronome sénégalais Maram Kairé
De plus en plus, les pays du continent africain investissent le domaine spatial. Agences nationales, projets de satellites… Le secteur évolue à grande vitesse et pour en parler, nous recevons l’une de ses figures Maram Kairé, astronome sénégalais, dont le nom a été attribué il y a deux ans tout juste à un astéroïde. Maram Kairé, au micro de Laurent Correau.
RFI : Bonjour Maram Kairé Une quarantaine de satellites africains sont actuellement en orbite. Une vingtaine de pays du continent possèdent désormais leur agence spatiale. Est-ce que vous diriez que le spatial africain a maintenant décollé ?
Maram Kairé : Bonjour, On peut le dire oui. Effectivement, il y a un envol qui est là. Aujourd’hui, on est à 22 agences spatiales qui sont créées à travers le continent et les lancements se multiplient. Donc, ça veut dire que l’Afrique a compris l’importance de miser sur le spatial, mais c’est surtout une ambition pour ce continent d’occuper une place dans le spatial.
Pendant très longtemps, le spatial africain était dominé par l’Égypte, l’Afrique du Sud, le Nigeria, l’Algérie… Est-ce que ce club est en train de s’ouvrir ?
Oui, et je pense que l’aspect miniaturisation l’a permis. Notamment, les nanosatellites, qui sont partis du domaine de la recherche universitaire, et qui sont aujourd’hui des outils pratiques pour les jeunes États qui veulent investir le secteur spatial. Aujourd’hui, vous avez des pays comme le Rwanda, Maurice, la Tunisie, le Ghana, le Kenya ou tout simplement le Sénégal qui créent son agence spatiale… Donc, ce club s’est élargi et je pense qu’on va accueillir de plus en plus de pays, parce que ce sont des enjeux que tout le monde a compris maintenant.
Quels sont les projets du Sénégal en matière de lancement de satellite ?
Il y a un premier satellite qui est en cours de développement. Ça va être un « CubeSat » (satellite cubique miniature) qui devrait être finalisé au plus tard l’année prochaine, donc on espère avoir le lancement l’année prochaine. Dans les deux prochaines années, on va initialiser le lancement du deuxième satellite qui, peut-être, à l’horizon 2027-2028, irait vers la mise en place de la première constellation de satellites du Sénégal.
Certains s’interrogent sur l’opportunité pour des pays africains d’investir dans ce secteur spatial. À quoi peut servir concrètement, pour un pays, le développement d’un secteur spatial ?
Le constat en fait, c’est que l’essentiel des pays qui ont misé sur le spatial, depuis une vingtaine ou une trentaine d’années, sont les pays qui sont les plus en avance dans l’atteinte de ces objectifs de développement durable. Il y a énormément d’applications aujourd’hui : l’agriculture, les pluies, qui arrivent normalement très tôt au mois de juin, se font attendre aujourd’hui jusqu’au mois de juillet/août parfois, donc avec deux ou trois mois de retard. Les populations, qui avaient l’habitude de semer et d’attendre les pluies au mois de juin, ont ce réflexe de continuer à faire les mêmes pratiques, alors que l’exploitation des données satellitaires peuvent nous permettre d’avoir des prévisions beaucoup plus fiables dans le domaine météorologique et de leur faire comprendre à quel moment il faut semer pour ne pas perdre cet investissement en semant les graines trop tôt.
Est-ce que dans ce secteur, Maram Kairé, il faut des politiques spatiales nationales, ou est-ce que l’avenir spatial de l’Afrique est dans les structures régionales ou panafricaines ?
C’est un ensemble de tout ça, en fait. Il faut que les pays arrivent à développer leur propre agence spatiale, avoir une politique spatiale, mais qui va venir s’inscrire dans un programme beaucoup plus global. Le rôle aujourd’hui de l’Agence spatiale africaine n’est pas de faire le spatial à la place des États africains, mais c’est de voir comment fédérer, comment coordonner l’ensemble d’une activité sur le continent, qui serait issue en fait des feuilles de route des différents pays africains qui ont développé leur programme spatial. On a tenu une conférence tout récemment à Abidjan du 25 au 28 avril sur le New Space, sous la houlette donc de l’Agence spatiale africaine et de l’Union africaine. Aujourd’hui, le message est clair : les pays mettent en place leur agence spatiale avec leur propre programme et nous avançons en essayant d’apprendre comment travailler ensemble pour développer le spatial africain, comment développer une économie, une industrie autour de ce spatial africain.
Depuis deux ans, Maram Kairé, un astéroïde porte votre nom. Est-ce que ça change la façon dont vous-même, vous voyez le ciel quand vous le regardez, le soir ?
Oui, parce que j’imagine toujours qu’il y a le drapeau du Sénégal qui flotte sur cet astéroïde, donc c’est une fierté pour le pays. C’est une fierté, peut-être pour tous ces jeunes qui peuvent se dire que maintenant, c’est possible. Quand vous partez du principe qu’au début, il n’y avait pas de possibilité de faire de l’astronomie dans mon pays. Aujourd’hui, les jeunes se disent : « Si on a un astéroïde qui porte le nom d’un concitoyen sénégalais, ça veut dire que c’est possible également pour nous. » Donc c’est une motivation supplémentaire pour ces jeunes générations. Et cet astéroïde ne brille pas comme une étoile, mais le fait de l’imaginer quelque part dans le système solaire, c’est une lueur d’espoir.
Maram Kairé, merci.