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Guinée : les plus grands gisements de bauxite du monde ou le Scandale géologique 

« Scandale géologique » est l’expression qui revient le plus souvent pour qualifier la situation de la Guinée, État d’Afrique de l’Ouest situé entre le Sénégal, le Mali et la Côte d’Ivoire . On entend par-là le paradoxe d’une population majoritairement (55%) pauvre, vivant dans un pays riche en ressources minérales, et pourtant membre des Pays les moins avancés (PMA). Il est d’ailleurs classé, dans le dernier rapport du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), 183ème sur 188 pays selon l’Indice de développement humain .

Le sous-sol guinéen contient en effet les plus grands gisements de bauxite du monde, d’importantes réserves de fer, d’or, de diamant, ainsi que de considérables potentialités pour l’exploitation du zinc, du cobalt, du nickel et de l’uranium… Le secteur minier, moteur de la croissance, assurant jusqu’à 25% des recettes publiques, est l’objet de nombreux calculs et d’intenses convoitises. Avec une vingtaine de mégaprojets prévus et le récent accord de 20 milliards de dollars avec la Chine , il devrait d’ailleurs connaître un essor considérable dans les années à venir . Mais le développement minier en Guinée suscite autant d’attentes que de problèmes et de défis.

L’essentiel de l’exploitation minière est destinée à l’exportation, dont elle représente jusqu’à 90% des recettes totales . Cela crée un double problème de dépendance et de concentration. La Guinée est ainsi très dépendante de l’exportation de quelques matières premières, dont les prix fluctuent grandement sur le marché mondial – au risque de provoquer une gestion des ressources publiques en « dents de scie » – et sur lesquels elle n’exerce pratiquement aucun contrôle. Concentration également en termes de destination : principal destinataire, l’Inde absorbe plus d’un quart des exportations guinéennes, et celles-ci étaient composées à 65% d’or (à près de 95% de ressources minières et pétrolières). À l’instar des pays riches en ressources naturelles, la Guinée est également engagée dans un rapport asymétrique et dépendant avec la Chine, principale source de ses importations. Les exportations vers le géant asiatique sont composées à 99% de bauxite  .

Deux défis majeurs en ressortent : la diversification économique et la durabilité. Par nature, l’extraction minière n’est pas une activité durable. Sa grande consommation d’eau, son utilisation de produits toxiques (cyanure, mercure, etc.) et le caractère intensif de cette exploitation expliquent qu’elle a un impact négatif considérable et à long terme sur l’environnement et la biodiversité en général, et l’eau en particulier.

L’activité minière artisanale soulève, à son échelle, le même type d’impacts. L’orpaillage – pratique traditionnelle, qui se développe essentiellement en Haute Guinée – et le diaminage (surtout dans le centre et l’Est du pays). En Guinée, les femmes jouent un grand rôle dans l’extraction artisanale d’or et de diamants. Cette activité peut contribuer à la création d’emplois, à l’augmentation des revenus, voire au développement local, mais elle soulève aussi des problèmes d’ordre social, environnemental et financier qui peuvent nuire au développement : manque de sécurité et de protection sociale dû au caractère informel du travail, dégradation de l’environnement, tensions sociales, qui peuvent dégénérer en violence armée comme ce fut récemment le cas à Mandiana.

Le développement minier va de pair avec une perte de diversité des activités économiques, mettant particulièrement à mal l’agriculture et l’élevage, par la pression qu’il exerce sur les ressources hydriques et naturelles. Or, la Guinée est un pays majoritairement rural (62%), qui abrite une biodiversité unique en Afrique de l’Ouest et détient un fort potentiel agricole, et ce alors même, qu’en 2012, près d’un tiers de la population vivaient en situation d’insécurité alimentaire [. À plusieurs reprises, le président guinéen s’est prononcé pour mettre en avant l’importance du secteur agricole et relativiser les mines comme « levier du développement de la Guinée », sans pour autant que ne s’affirme une cohérence politique . Le recentrage des activités sur l’extractivisme accentue ce problème et accroît la vulnérabilité des populations locales. Et ce y compris en milieu urbain, comme le démontre le cas de la ville de Fria .

On présente régulièrement le secteur minier comme une opportunité pour l’emploi, et, en conséquence, un espoir pour les jeunes, qui représentent plus de la moitié de la population du pays. D’aucuns affirment que le secteur minier serait le second employeur après la fonction publique. Mais c’est là une vision biaisée, dans la mesure où elle ne tient compte que de l’emploi formel, très minoritaire. En réalité, la première source d’emplois est l’agriculture, et la deuxième, l’économie informelle, y compris le secteur minier artisanal où sont impliqués entre 150 et 300.000 personnes  . Les espoirs mis dans l’industrie minière en termes d’emplois sont infondés car il s’agit d’une activité qui nécessité beaucoup de capitaux et peu de main d’œuvre . Ainsi, selon une étude de 2010 de la Banque mondiale, le secteur minier industriel ne fournirait que 22.000 emplois directs dans le pays.

L’impact du secteur minier est donc cumulatif et intense, mais il se décline différemment, en fonction de la position occupée au sein de la famille et de la société, et de l’accès aux revenus et aux ressources. Les jeunes et les femmes sont particulièrement affectés. Ces dernières occupent une place importante dans l’extraction artisanale. De plus, elles ont traditionnellement à leur charge les soins et l’alimentation des familles ; elles sont donc directement affectées par l’accaparement de l’eau et la pression sur l’environnement qu’exercent les mines.

L’exploitation minière est par ailleurs une activité génératrice de conflits. Elle entraîne des déplacements de populations, des flux migratoires, une réorientation économique, des pollutions, une déstructuration des relations sociales, et des violations des droits humains, qui sont autant de sources de conflits. Ceux-ci sont aggravés et catalysés par les espoirs déçus, le manque de transparence et de participation des communautés locales, l’accroissement des inégalités, l’invisibilité de certains « coûts » (sanitaires, environnementaux, sociaux, culturels) de l’exploitation et la pression sur les pratiques traditionnelles et le caractère sacré de certains lieux près des sites miniers.

Si la source la plus visible des conflits tourne autour de la rente minière, du fait de l’opacité, de la faible capacité de gestion et de l’évasion fiscale, il y a une démultiplication des conflits à tous les niveaux. Ils opposent notamment les populations locales aux acteurs miniers et l’État aux populations allochtones venues à la recherche de ressources de revenus. Mais ils opèrent également entre autorités locales et autorités nationales, et entre ces dernières et les opérateurs miniers, principalement autour de la répartition des responsabilités et bénéfices et le (non-)respect des engagements. Ces conflits peuvent diviser les communautés elles-mêmes, et provoquer de véritables émeutes, comme à Siguiri, en 2015, et à Boké, en 2017  .

La Vision africaine des mines appelait à désenclaver l’activité minière, en l’inscrivant dans « une nouvelle approche axée sur le développement » . Le défi de canaliser et de réorienter l’activité minière afin qu’elle bénéfice au pays, à sa population et aux générations à venir relève en grande partie du contrôle des institutions publiques, du contre-pouvoir démocratique et de la participation de la société civile.

Issa Nabé, Conakry

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