«Il y a eu un certain abandon de l’Afrique par l’administration Trump»
Le président américain Donald Trump fera face ce mardi soir à Joe Biden à l’occasion du premier débat télévisé de la campagne électorale américaine. Deux candidats, deux conceptions très différentes de la politique étrangère, et notamment de la place que l’Afrique doit occuper dans la diplomatie américaine. Jeffrey Hawkins, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), oppose ce qu’il appelle « l’abandon » de l’Afrique par l’administration Trump à la volonté de « coopération » de l’équipe Biden. Publicité
RFI : Comment la politique africaine des États-Unis a-t-elle évolué sous Donald Trump ?
Jeffrey Hawkins :
Il y a eu un certain, je dirais, abandon de l’Afrique par
l’administration Trump, notamment de la part du président lui-même.
C’est un hommes d’affaires, un homme politique qui n’a prêté que très
peu d’attention au continent. C’est quelqu’un qui a des intérêts
économiques dans pas mal de pays au monde… mais en Afrique, très peu.
Donald Trump a notamment parlé de « pays de merde » à une certaine
époque. C’est quelqu’un qui n’a jamais voyagé sur le continent. Et même
son secrétaire d’État [Mike] Pompeo n’y est allé qu’une fois. C’est donc
une administration qui prête très peu d’attention au continent
africain, sauf quand il s’agit des enjeux géostratégiques, et notamment
vis-à-vis de la Chine.
Est-ce que ce désintérêt s’est
traduit par une véritable réduction de la politique africaine des
États-Unis ou est-ce que l’administration américaine, notamment le
département d’État, a maintenu une politique africaine parallèlement au
désintérêt de la Maison Blanche ?
Certainement… Celui qui est chef de l’Afrique au département d’État, c’est un diplomate de carrière…
Tibor Nagy…
Oui…
Tibor Nagy, c’est un diplomate qui a fait un travail tout à fait
correct. Mais sans le soutien, sans la volonté du président, il reste
assez peu de choses à faire.
Où en est-on d’un point de vue sécuritaire ?
Au début de l’année, le chef d’état-major, le général Mark Milley,
avait annoncé une réduction des effectifs du Commandement des États-Unis
pour l’Afrique (Africom), est-ce que le retrait militaire s’est
confirmé depuis ?
Non. On en parle
toujours. Et d’ailleurs, on garde à peu près 7 000 soldats américains
sur le sol africain… et je n’ai pas l’impression pour l’instant que ce
chiffre ait baissé sensiblement. Par contre, ça ne concerne pas
l’Afrique, mais Donald Trump est un peu fâché avec les Allemands. Et
donc, il veut réduire la présence militaire américaine en Allemagne, y
compris l’état-major de l’Africom qui se trouve à Stuttgart. Cela va
certainement totalement désorganiser l’effort militaire américain
vis-à-vis de l’Afrique si on est en train de déménager de l’Allemagne
vers un autre pays.
Est-ce qu’on a des raisons de penser que cette politique africaine pourrait évoluer si Donald Trump était réélu ?
Si Trump est réélu, je ne pense pas.
Est-ce qu’on sait ce qui changerait si Joe Biden était élu ?
Certainement.
Ce n’est pas que tout d’un coup, l’Afrique sera la priorité numéro une
de l’administration américaine. Joe Biden est face à des défis énormes,
notamment le Covid en ce moment, le changement climatique, la Chine, la
prolifération nucléaire, le Moyen-Orient, la Russie, etc. Et l’Afrique
va certainement passer en deuxième priorité après ces grands défis. Ceci
dit, c’est une administration, si jamais Biden est élu, qui aura
beaucoup d’expertise sur l’Afrique, des gens qui connaissent bien le
continent. La campagne électorale de Biden a ce qu’on appelle un «
Africa policy group » donc il y a déjà une cellule qui prépare la
politique de Biden vis-à-vis de l’Afrique.
Avec des gens comme Susan Rice, Antony Blinken, c’est ça ?
Antony
Blinken et autres : Nicholas Burns qui est un de nos grands diplomates,
Michelle Gavin qui était ambassadrice au Botswana. Cette cellule est
certainement en train de préparer un engagement plus équilibré, plus
respectueux que ce que nous avons vu de l’administration Trump.
Est-ce
qu’on sait déjà dans quelle direction cette cellule voudrait orienter
la politique africaine des États-Unis si elle venait à prendre le
pouvoir ?
Je pense que ça va beaucoup
ressembler aux priorités de l’administration Obama, parce que la plupart
de ces experts sont des vétérans de l’administration Obama. Avec
certainement une forte reconnaissance du potentiel du continent africain
et notamment de la jeunesse africaine qui était une priorité sous Obama
; les mêmes intérêts pour les affaires, les marchés, les
investissements, certainement une administration qui veut coopérer avec
l’Afrique et qui cherchera notamment à aider à la résolution des crises
africaines, comme l’a fait l’administration Obama, et qui est prête à
travailler avec les organisations internationales. N’oublions pas aussi
que Biden a bien sûr été vice-président du président Obama, mais il a
aussi été président de la commission pour les relations internationales
au Sénat. C’est quelqu’un qui connait très bien le monde, qui connait
ses institutions et qui connait un tout petit peu l’Afrique. Donc,
l’Afrique n’aura peut-être pas une place de premier plan, mais on ne va
pas oublier l’Afrique.