Jewel Howard-Taylor : portrait de la nouvelle vice-présidente du Liberia
Malgré un nom associé aux heures les plus sombres du Liberia, Jewel Howard-Taylor s’apprête à devenir, à 54 ans, la vice-présidente du pays, à la suite de la victoire de Georges Weah à la présidentielle fin décembre. Portrait.
Leurs patronymes ont chacun une puissante résonnance, mais pour des raisons diamétralement opposées. Celui de Georges Weah, nouveau président élu du Liberia, est gravé au panthéon des joueurs de football. Premier et unique Africain à avoir reçu le Ballon d’or, superstar évoluant au PSG et au Milan AC, il demeure la fierté sans égale de son pays, où il est né et a grandi dans un des bidonvilles de la capitale Monrovia.
Le nom de Jewel Howard-Taylor, qui prendra ses fonctions de vice-présidente le 22 janvier, renvoie, lui, aux années les plus sombres du pays, à ses deux guerres civiles, qui ont fait 250 000 morts entre 1989 et 2003. Elle a en effet épousé en 1997 le plus puissant des chefs de guerre du Liberia, Charles Taylor, lorsque ce dernier a accédé au pouvoir avec cet ignoble slogan : « J’ai tué ton père, ta mère, alors vote pour moi ».
Épuisés, anéantis par des années de guerre civile, dont Charles Taylor a été le principal architecte, 70 % des Libériens l’élisent en espérant la paix, mais une seconde guerre civile éclate en 1999. Jewel Howard-Taylor, devenue Première dame, occupe alors des fonctions officielles, notamment celle de vice-gouverneure de la Banque nationale du Libéria. Elle devient aussi la conseillère de son époux.
Le couple Taylor se connaît depuis les années 1980. Jewel Howard le suit alors aux États-Unis où il fuit à la suite d’une accusation de détournements de fonds, alors qu’il occupe un poste dans la fonction publique. Un mandat d’arrêt est émis à son encontre et il est finalement incarcéré outre-Atlantique, avant de réussir à s’évader dans des conditions qui demeurent mystérieuses. Alors étudiante, Jewel Howard-Taylor décide de rester pour poursuivre son cursus en économie, tandis que Charles Taylor rentre au pays pour prendre la tête du Front national patriotique du Liberia (NPFL), dont les troupes seront à l’origine d’atrocités (viols, tortures, enrôlement d’enfants soldats…) pendant la première guerre civile du Liberia (1989-1997).
Aujourd’hui âgé de 69 ans, Charles Taylor est incarcéré au Royaume-Uni, où il a été condamné en mai 2012 par la Cour spéciale pour la Sierra Leone (CSPSL) à cinquante ans de prison pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre en Sierra Leone voisine.
« Son propre empire politique »
À 54 ans, Jewel Howard-Taylor a surpris en s’associant à George Weah plutôt qu’en briguant elle-même la présidence, à laquelle elle avait un temps dit vouloir se présenter. C’est à la condition qu’elle devienne numéro deux que son parti, le NPP, créé en 1997 par des membres du NPFL, a finalement accepté de former une coalition avec le Congrès pour le changement démocratique (CDC) de Weah.
Preuve de l’efficacité et surtout de l’intérêt électoral de ce « ticket » : alors que le score de Weah n’était que de 10,7 % dans le comté de Bong, l’ancien fief de Charles Taylor, lors de sa première candidature en 2005, il a bondi à plus de 40 % grâce à sa colistière, qui y est sénatrice depuis 2005. « Prosaïquement, elle était depuis plus de dix ans une sénatrice très populaire dans cette province qui est une des plus peuplées du Liberia. Dans la perspective des élections présidentielles, ce territoire apparaissait politiquement stratégique pour Monsieur Weah, constate l’avocat Alain Werner, directeur de Civitas Maxima, un réseau d’avocats et d’enquêteurs internationaux, qui travaillent au service des victimes de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, en particulier celles du Liberia.
Dans ce fief, Jewel Howard-Taylor s’est construit une image de travailleuse acharnée et écoutée, dans un univers politique dominé par les hommes. « J’ai fait des promesses dans l’éducation, la santé et le développement des infrastructures, et j’espère au cours des douze dernières années être devenue ma propre personne travaillant pour la paix, travaillant pour la prospérité et travaillant pour le développement », affirme-t-elle dans une interview accordée à l’AFP avant l’élection présidentielle. Son nom d’épouse n’aura ainsi jamais été un frein dans sa carrière politique, qui l’a portée jusqu’à la vice-présidence du Liberia. « Il serait injuste de dire que parce qu’elle a gardé le nom de Taylor, elle n’a pas construit son propre empire politique », souligne le militant et universitaire libérien Robtel Neajai Pailey.
Mais le nom de Taylor demeure malgré tout une ombre ambiguë. « Le Liberia est un pays très particulier, nuance Alain Werner. Les victimes veulent justice mais dans des endroits particuliers comme le Bond ou dans la province de Nimba où Prince Johnson [ex-chef rebelle, responsable de la capture et de l’exécution de l’ancien président Samuel Doe, NDLR] est élu sénateur, un certain nombre de gens soutiennent encore Charles Taylor et lui restent loyaux, à lui ou à ses proches. Ils peuvent encore avoir des réflexes ethniques et voter pour quelqu’un à la seule condition que cette personne n’ait pas commis des crimes contre leur ethnie. Cela nous fait dire que la réconciliation n’a pas encore réellement eu lieu. »
« Comment peut-on dire que j’étais impliquée dans la guerre ? »
Que savait Jewel Howard-Taylor des crimes commis par son ex-mari lors de la guerre civile en Sierra Leone (1991-2002) et du recrutement d’enfants soldats au Liberia ? « Pendant la crise, je n’étais pas dans le pays, je faisais des études, alors comment peut-on dire que j’étais impliquée dans la guerre ? », s’est-elle défendue lors d’une interview à la chaîne Al-Jazira pendant la campagne présidentielle.
Pour Alain Werner, la question de sa connaissance des agissements de son mari se pose au cours de la deuxième guerre du Liberia (1999/2003), soit la période où il était président et elle Première dame exerçant des fonctions officielles. « On sait qu’énormément d’atrocités ont été commises par Charles Taylor pendant cette période, alors qu’il combattait le Lurd, les Libériens unis pour la réconciliation et la démocratie. Il est établi qu’il a une énorme responsabilité directe sur ces atrocités perpétrées par sa police, ses agents secrets et ses forces de sécurité, son armée. Mme Howard-Taylor était alors à Monrovia, où elle a toujours soutenu son mari, même après son divorce. […] À ma connaissance, il n’y a jamais de sa part d’actes de contritions ou d’excuses pour les crimes commis pendant la présidence de Charles Taylor », rappelle l’avocat.
Ces dernières années, Jewel Howard-Taylor dit avoir pris ses distances avec son ex-mari et père de ses deux enfants, tout en reconnaissant ne pas avoir coupé tous les liens.