Les rebelles islamistes ont pris le pouvoir à Damas et prétendent vouloir piloter une transition pacifique. Si la chute d’Assad est largement saluée, la prudence reste de mise devant une coalition dominée par des djihadistes.
Statues de Bachar Al-Assad et de son père, Hafez, abattues et traînées dans les rues. Foules en liesse de toutes origines, y compris des chrétiens et des alaouites. Prisonniers libérés après parfois jusqu’à trente ans d’incarcération arbitraire et de tortures… La Syrie a basculé, ce dimanche, dans un monde impensable il y a seulement deux semaines : la chute de la dynastie Assad, qui a régné d’une main sanglante sur le pays durant cinquante-quatre ans. De quoi nourrir un mélange déconcertant d’espoir et de circonspection, sur fond de bouleversement géopolitique majeur, en gros un revers monumental pour les alliés de l’ex-régime, Iran et Russie, donc plutôt un gain pour les Occidentaux et Israël, et une victoire pour la Turquie.
La coalition de rebelles dominée par les djihadistes de Hayat Tahrir Al-Cham (HTS) a annoncé ce dimanche matin à la télévision la « libération », sans combats, de la capitale Damas, la chute du « tyran » Bachar Al-Assad et un début de transition pacifique du pouvoir. Le Premier ministre en fonction, Mohammed Al-Jalali, s’est dit prêt à coopérer avec tout nouveau « leadership » choisi par le peuple pour toute procédure de « passation de pouvoir » et a été vu se rendant à son bureau. Les forces armées du régime ont abandonné toutes leurs positions progressivement à partir de vendredi soir, sur fond de désertions d’ampleur, et ont fait acte d’allégeance, ce dimanche, à la nouvelle situation politique.
Une transition pour l’instant sans convulsions
Selon les rebelles et divers services de renseignement occidentaux, Bachar Al-Assad aurait fui dans la nuit de samedi à dimanche avec le dernier avion décollant d’une base militaire de Damas. Un avion de Syrian Air a disparu des radars dans la nuit, selon les données du site Flightradar, soit qu’il ait été abattu soit qu’il ait coupé son transpondeur. Des agences de presse russes affirmaient dimanche soir que le président en fuite était à Moscou avec sa famille et qu’ils auraient obtenu l’asile politique auprès des autorités russes.
Les rebelles ont lancé un appel « pour rentrer en Syrie libre » aux Syriens réfugiés à l’étranger, dont 3 millions en Turquie et 1 million au Liban, ainsi qu’en Jordanie, en raison de la guerre civile qui a fait depuis 2011 plus d’un demi-million de morts, et a morcelé le pays en zones d’influence, avec des belligérants soutenus par la Russie, l’Iran, la Turquie et les Etats-Unis.
Le chef de HTS, Abou Mohammed Al-Jolani, a appelé ses combattants à ne pas s’approcher des institutions publiques, ajoutant que celles-ci restaient sous contrôle du Premier ministre jusqu’à la « passation officielle ». Le HTS est un groupe classé comme terroriste par les Etats-Unis et des pays européens, car il est issu de l’ex-branche syrienne d’Al-Qaida mais a rompu avec cette dernière en 2016.
Différents témoignages font état de captures de femmes et d’exécutions sommaires par des rebelles d’affiliation incertaine. La situation était aussi confuse dimanche dans l’est du pays, dans la province de Deir ez-Zor où les Forces démocratiques syriennes (FDS) dominées par les Kurdes et soutenues militairement par les Etats-Unis se sont déployées, mais des combats opposaient les YPG aux rebelles dans la ville de Manjib.
Besoin de reconstruire
Les gouvernements occidentaux, qui se sont tenus à l’écart du régime de Bachar Al-Assad, doivent désormais décider de la manière de traiter avec une nouvelle administration. « La vraie question est de savoir dans quelle mesure cette transition sera ordonnée, et il semble assez clair que Al-Jolani souhaite vivement qu’elle le soit », a déclaré Joshua Landis, spécialiste de la Syrie et directeur du Centre d’études sur le Moyen-Orient à l’université d’Oklahoma.
Selon lui, Abou Mohammed Al-Jolani ne souhaite pas que se répète le chaos qui a balayé l’Irak après que les forces dirigées par les Etats-Unis ont renversé Saddam Hussein en 2003. « Ils vont devoir reconstruire […] Ils auront besoin que l’Europe et les Etats-Unis lèvent les sanctions », a expliqué Joshua Landis.
L’émissaire de l’ONU en Syrie, Geir Pedersen, fait part d’espoirs « prudents d’ouverture, de paix et de réconciliation », tandis que la Maison-Blanche déclarait suivre les « événements extraordinaires en Syrie », sans autre commentaire. L’Iran, dont l’ambassade à Damas a été pillée, a annoncé qu’il était prêt à « faire évoluer » sa politique envers la Syrie, sans autre précision, ajoutant seulement escompter que les relations « demeurent amicales ».
Sa chute est « positive » et était « attendue depuis longtemps » tout en montrant « également la faiblesse des soutiens d’Assad, la Russie et l’Iran », a dit sur X la cheffe de la diplomatie de l’Union européenne, Kaja Kallas. « L’Etat de barbarie est tombé », a lancé le président français, Emmanuel Macron.
Les Etats-Unis ont mené dimanche soir « des dizaines de frappes aériennes » dans le centre de la Syrie visant « plus de 75 cibles » du groupe Etat islamique (EI), a annoncé le Centcom, le commandement militaire américain pour le Moyen-Orient. « Il ne doit y avoir aucun doute : nous ne laisserons pas l’EI se reconstituer et tirer profit de la situation actuelle en Syrie », a déclaré le général Michael Erik Kurilla dans le communiqué du Centcom, après une offensive éclair de groupes rebelles qui a provoqué la chute du président Bachar al-Assad.
La Turquie a appelé les pays de la région et au-delà à assurer une « transition en douceur » et dit être en contact avec les rebelles pour garantir la sécurité. Israël a salué un « jour historique pour le Moyen-Orient », ainsi que la chute d’un « maillon central » de « l’axe du mal » dirigé par l’Iran. Et même les talibans ont félicité les Syriens.
Yves Bourdillon