Les Etats-Unis sont « déterminés » à ne pas laisser le groupe Etat islamique (EI) se reconstituer ou créer des sanctuaires en Syrie, a déclaré lundi le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken, appelant également à tout faire pour « éviter une fragmentation » du pays après la chute du pouvoir de Bachar al-Assad.
« L’EI tentera de profiter de cette période pour rétablir ses capacités et créer des sanctuaires. Comme le montrent les frappes de précision que nous avons effectuées ce week-end, nous sommes déterminés à empêcher cela », a affirmé M. Blinken lors d’une cérémonie au département d’Etat.
Il a indiqué à plusieurs reprises que les Etats-Unis avaient des « intérêts clairs » en Syrie, dans une allusion à peine voilée aux propos du président élu Donald Trump selon lequel les Etats-Unis ne devaient pas « se mêler » de la situation en Syrie.
« Nous avons clairement intérêt à faire ce que nous pouvons pour éviter la fragmentation de la Syrie, les migrations massives depuis la Syrie et, bien sûr, l’exportation du terrorisme et de l’extrémisme », a déclaré le chef de la diplomatie américaine.
M. Blinken a ajouté que les Etats-Unis avaient également « tout intérêt à s’assurer que les armes de destruction massive ou leurs composants qui restent en Syrie ne tombent pas entre de mauvaises mains ».
Qui sont les rebelles ? Quels scénarios pour l’avenir ? Quel impact sur la Belgique ? Les clefs pour comprendre les enjeux autour de la chute de Bachar al-Assad
La prise de Damas par des rebelles syriens et la fuite de Bachar al-Assad marquent la fin d’une ère en Syrie. Des répercussions devraient aussi se faire sentir au niveau international et en Belgique, où dix-huit mille réfugiés syriens bénéficient de l’asile.
Comment expliquer la chute soudaine du régime ?
Privé de ses principaux soutiens, le régime de Bachar al Assad, éreinté par la guerre civile qui sévit dans le pays depuis 2011, n’a pas véritablement opposé de résistance aux rebelles islamistes qui ont lancé à la fin du mois de novembre une offensive éclair. « L’affaiblissement considérable d’un régime dévitalisé de l’intérieur a dégagé une fenêtre d’opportunité, élargie par le déclin des parrains de Bachar », confirme Raoul Delcorde, professeur de relations internationales à l’UCLouvain. « Le Hezbollah, son principal tuteur, n’a eu d’autres choix que de se replier sur le Liban ; l’Iran est obligé d’économiser ses forces et a vu son implantation en Syrie très dégradée par des frappes israéliennes massives et répétées, et la Russie, front ukrainien oblige, avait dégarni ses forces », détaille encore l’ancien ambassadeur de Belgique.
Qui sont les rebelles qui ont pris le pouvoir ?
Dirigé par Abou Mohammed al-Joulani, le nouvel homme fort du pays, le groupe de rebelles à l’origine de la chute de Bachar al-Assad se nomme Hayat Tahrir al-Cham (HTS). Il serait composé de 30 à 40.000 combattants. « Il était affilié à al-Qaeda puis à Daesh », note Raoul Delcorde, qui précise qu’il a aujourd’hui pris son autonomie, al-Joulani montrant par ailleurs des signes d’ouverture envers les minorités confessionnelles, dont les chrétiens.
Est-ce une défaite pour la Russie et l’Iran ?
Certainement. Ces deux pays constituaient les principaux appuis du régime de Bachar al-Assad, qu’ils soutenaient depuis le déclenchement de la guerre civile en 2011. La Russie dispose en effet de bases militaires sur le littoral syrien, dont l’avenir est désormais incertain. « Le retrait russe de Syrie serait quand même un sérieux revers pour Poutine », juge Raoul Delcorde. Quant au régime iranien, il voit un autre de ses satellites dans la région tomber. « L’axe de la résistance mis en place par l’Iran (Hezbollah, Hamas, Houtis, Syrie) vole en éclats », résume le professeur.
Qui sont les vainqueurs de cette situation ?
Israël et la Turquie peuvent clairement tirer profit de cette nouvelle donne en Syrie. L’affaiblissement de l’Iran opéré grâce à ce renversement de pouvoir est en effet une bonne nouvelle pour le gouvernement de Benyamin Netanyahu, qui a ordonné à ses forces de prendre le contrôle du Golan syrien, situé à la frontière israélienne.
Pour Recep Tayyip Erdogan, il y a également de quoi se réjouir. « Le Président turc a cherché durant des mois à rétablir le dialogue avec Bachar al-Assad. Son objectif principal était de renvoyer en Syrie une partie des millions de réfugiés syriens qui se trouvent en Turquie. Le dirigeant syrien s’est montré fermé à ces ouvertures, ou a posé des exigences inacceptables pour Ankara. Le pouvoir turc a donc fini par donner son feu vert à HTS. Les Turcs ont équipé, entraîné et aidé les différentes composantes des rebelles – tous d’inspiration islamiste », détaille Raoul Delcorde, qui anticipe que la Turquie peut maintenant compter sur le retour d’une partie des réfugiés syriens dans leur pays.
Quels sont les scénarios pour l’avenir ?
« al-Joulani ne va pas établir une démocratie à Damas. Toute sa stratégie a consisté à « syrianniser » le jihad ou à « jihadiser » le mouvement révolutionnaire qui a renversé Bachar. La manière dont il a géré Idlib au Nord-Ouest de la Syrie (cette enclave jihadiste qui a échappé au contrôle de Bachar) laisse toutefois penser qu’il va probablement vouloir appliquer le même type de gouvernance rigoriste à Damas », avance Raoul Delcorde, qui y voit un parallèle avec l’Afghanistan, où un régime islamiste extrêmement conservateur a été mis en place après un retrait précipité des Occidentaux, alors même que les Talibans avaient laissé penser qu’ils se montreraient plus modérés une fois au pouvoir. « Certes, la Syrie est multiconfessionnelle, (ce que l’Afghanistan n’est pas) mais il n’est pas sûr que al-Joulani ait l’intention de former un gouvernement inclusif. Je crois que les Chrétiens de Syrie ne sont pas rassurés », note le diplomate.
Quel impact pour les demandes d’asile en Belgique ?
Contacté, le cabinet de Nicole De Moor, Secrétaire d’État à l’asile et la migration, dit ne pas pouvoir anticiper à ce stade l’impact de la chute du régime syrien sur les demandes d’asile en Belgique. « Deux jours après le renversement du régime, il est trop tôt pour se prononcer sur l’avenir. J’ai demandé à mes services de suivre la situation de près », indique la Secrétaire d’État dans un communiqué de presse, précisant « qu’aucune décision ne sera prise pour l’instant sur les demandes d’asile des Syriens. »
« Le statut de réfugié n’est pas nécessairement éternel. Si la situation en Syrie s’améliore durablement, je demanderai au CGRA de réexaminer le statut de réfugié des Syriens arrivés ici au cours des cinq dernières années. Mais il est encore trop tôt pour cela. Il est évident que nous n’allons pas révoquer le droit de séjour des personnes qui se sont intégrées ici de manière permanente et qui, par exemple, travaillent ici, parlent bien le français et ont des enfants en âge de scolarité. Nous pouvons également aider les personnes qui souhaitent rentrer maintenant. Notre pays dispose d’un système d’accompagnement bien développé en matière de retour volontaire. », conclut-elle. Aujourd’hui, près de 30.000 ressortissants syriens sont établis sur le sol belge, dont 18.000 en tant que réfugiés.