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« Les droits reproductifs des Américaines menacés après l’élection de Donald Trump? »

Depuis la victoire du candidat républicain à la Maison Blanche, l’achat de pilules abortives et du lendemain a explosé aux États-Unis. Pour cause : les Américaines craignent de voir se compliquer l’accès à ces cachets sous un nouveau mandat de Trump, alors que le futur président semble avoir désormais toutes les cartes en main pour mener des politiques toujours plus sévères en termes de droits reproductifs.

Des manifestants en faveur du droit à l'avortement participent à une manifestation devant la Cour suprême des États-Unis, à Washington, aux États-Unis, le 26 mars 2024.
Des manifestants en faveur du droit à l’avortement participent à une manifestation devant la Cour suprême des États-Unis, à Washington, aux États-Unis, le 26 mars 2024. © Evelyn Hockstein / Reuters

Les Américaines vont-elles faire face à une « apocalypse reproductive » ? C’est en tout cas ce que veut croire Elisa Wells, la cofondatrice de Plan C, une organisation qui donne des informations sur l’accès à la contraception et au droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) aux États-Unis. Après l’élection de Donald Trump à la présidentielle le 5 novembre, de nombreuses femmes n’ont pas attendu pour réagir : elles ont décidé de faire des provisions de pilules du lendemain et abortives, en prévision de possibles restrictions futures sur leurs droits reproductifs.

La demande pour ces cachets a depuis explosé dans le pays, au point que le site d’Aid Access, l’un des plus importants fournisseurs de pilules abortives en ligne et par courrier notamment dans des États les plus restrictifs sur l’avortement, a crashé quelques heures après la victoire du candidat républicain. La plateforme a reçu 10 000 demandes en l’espace d’une journée le 6 novembre, presque quinze fois plus que les 600 demandes quotidiennes habituelles, a rapporté sa fondatrice, la médecin Rebecca Gomperts, au journal britannique The Independent.

Le service de télémédecine Wisp a constaté une augmentation de 300% des demandes de pilules du lendemain dans les jours qui ont suivi l’élection. Même son de cloche du côté de Plan C, qui enregistre une hausse de 635% du trafic de son site, note The Guardian.

Les rendez-vous pris chez Planned Parenthood pour se faire poser un stérilet ont également bondi de 760% mercredi 7 novembre, relève l’organisme. De même pour les rendez-vous pour les vasectomies masculines, qui ont augmenté de 1 200%.

Position contradictoire de Trump sur l’avortement

La victoire du l’ex-président conservateur a fait resurgir les craintes et l’appréhension de nombreuses femmes de voir leurs droits reproductifs davantage limités. Alors, les Américaines ont-elles raison d’avoir peur ? « C’est difficile de prédire l’avenir, mais ce qui est certain, c’est que l’accès à l’avortement ne sera pas facilité avec la nouvelle administration », pose d’emblée Ludivine Gilli, directrice de l’Observatoire Amérique du Nord de la fondation Jean Jaurès.

Même si Donald Trump est resté évasif sur le sujet tout au long de la campagne, l’opinion de son parti et de ses alliés est, elle, beaucoup plus claire. « Dans le logiciel MAGA [« Make America Great Again », le slogan de Donald Trump, NDLR], le droit à l’avortement conditionne l’autonomie des femmes : il faut donc le supprimer », appuie par exemple la chercheuse Marie-Cécile Naves dans une publication de l’Institut de relations internationales et stratégiques. « Donald Trump ne travaille pas tout seul : il est suffisamment entouré de personnes ouvertement contre l’IVG qu’il semble compréhensible qu’une partie de la population s’inquiète pour l’avenir de ce droit », souligne quant à elle Héloïse Thomas, professeure agrégée d’anglais à l’Université Polytechnique Hauts-de-France.

Pour rappel, le président républicain s’était targué sur les réseaux sociaux d’avoir été l’architecte de la révocation de l’arrêt Roe v. Wade – qui garantissait le droit fédéral à l’avortement – en juin 2022 par la Cour suprême, en nommant lors de son premier mandat trois juges conservateurs à la plus haute instance judiciaire américaine. À l’heure actuelle, plus d’une dizaine d’États, en majorité dans le sud du pays, bannissent toujours l’accès à l’IVG tandis que sept autres ont en place des restrictions strictes et des délais limités pour y accéder.

Bannir l’IVG au niveau national, une mesure plausible pour la nouvelle administration ?

Toutefois, Donald Trump a déclaré sur X début octobre qu’il poserait son veto sur une interdiction fédérale de l’avortement, préférant laisser aux États la responsabilité de légiférer sur la question. Mais maintenant que les républicains détiennent la majorité à la Chambre des représentants et au Sénat, « que ferait Trump si le Congrès votait une telle interdiction ?, interroge Ludivine Gilli. Il la signerait très probablement. »

Selon l’experte, il est cependant peu plausible que les organes du pouvoir législatif américain parviennent à adopter une telle mesure nationale. « Les majorités républicaines au Congrès sont extrêmement minces. Et par considérations électorales, certains députés républicains, avec un mandat à remettre en jeu dans deux ans, ne voteraient pas forcément une interdiction nationale s’ils veulent conserver leurs sièges », déroule la chercheuse.

Car agir sur l’IVG au niveau national, c’est s’attaquer à un droit malgré tout relativement populaire aux États-Unis. Selon un sondage réalisé par le Pew Research Center en mai 2024, 63% des Américains estimaient que l’avortement devrait être entièrement légal.

Une tendance qui s’est confirmée le 5 novembre dernier : dans dix États, les électeurs ont dû se prononcer sur le sujet lors de référendums organisés en parallèle de la présidentielle. Dans sept de ces États, à l’exception du Nebraska, du Dakota du Sud et de la Floride, les amendements en faveur de davantage de protection de l’IVG ont été adoptés. Dans le Missouri, État pourtant très conservateur et l’un des plus stricts sur l’accès à l’avortement, l’interdiction totale qui était en place a même été levée.

Des supporters en faveur du droit à l'IVG manifestent en soutien d'un amendement qui ferait rentrer l'avortement dans la Constitution du Missouri, à Kansas City, le 12 octobre 2024.
Des supporters en faveur du droit à l’IVG manifestent en soutien d’un amendement qui ferait rentrer l’avortement dans la Constitution du Missouri, à Kansas City, le 12 octobre 2024. © Evelyn Hockstein / Reuters

Cibler la commercialisation de la pilule abortive

Mais outre la voie législative, l’administration Trump pourrait surtout être tentée d’user des leviers de l’État fédéral, en ciblant notamment la pilule abortive ou les agences d’aide à l’accès aux droits reproductifs. C’est précisément pour cela que de nombreuses Américaines stockent des cachets depuis l’élection du candidat républicain, au cas où « ils seraient retirés du marché », précise la médecin Rebecca Gomperts à The Independent.

« Il revient à Donald Trump, en tant que président, de nommer quelqu’un à la tête de la Food and Drug Administration (FDA) qui est en charge d’autoriser ou non la commercialisation de médicaments. Donc on peut tout à fait imaginer une mesure de l’administration Trump pour suspendre l’autorisation de pilules abortives. Et là, pour les femmes qui veulent avorter, ça deviendrait une véritable catastrophe », analyse Ludivine Gilli.

Car en l’espace d’une vingtaine d’années, le nombre d’avortements réalisés par voie médicamenteuse est passé de zéro en 2000 à 63% en 2023, selon l’institut de recherche Guttmacher, soit la vaste majorité. Comme l’a récemment souligné l’institut, cette idée de revenir sur la commercialisation des pilules abortives, notamment la mifépristone, fait partie intégrante du « Project 2025 », ce programme de gouvernement radical de 900 pages, concocté en 2022 par le très conservateur think tank « Heritage Foundation », dont Donald Trump s’est distancié durant sa campagne électorale malgré les liens multiples entre les deux.

« Déconstruire des mécanismes de protection des droits des femmes »

Le président élu détient également le pouvoir de nommer des juges fédéraux, et ainsi de remodeler l’appareil judiciaire dans un sens ultraconservateur, voire de peser indirectement sur le droit à l’IVG quand il est soumis à des tribunaux.

« Au niveau des États, il y a aussi la possibilité de mettre des bâtons dans les roues aux cliniques qui proposent l’avortement. De rajouter des contraintes au corps médical et aux patients, d’imposer des délais rallongés, une série de procédures complexes, des rencontres obligatoires avec des psychologues… C’est aussi réduire, voire bloquer, les subventions publiques aux cliniques qui pratiquent l’IVG, aux ONG ou aux organisations publiques qui fournissent des informations sur le sujet », ajoute Héloïse Thomas.

Le nouveau gouvernement pourrait également tout à fait, sans s’attaquer à l’avortement de manière frontale, « déconstruire des mécanismes de protection des droits des femmes mis en place par d’anciennes administrations », glisse Ludivine Gilli. Puis au-delà du droit à l’IVG, « la Cour suprême a également en ligne de mire la procréation médicalement assistée et la contraception », poursuit la spécialiste. Avec le retour d’un écosystème Trump « profondément misogyne et antiféministe » dans quelques semaines, les organisations de santé sexuelle et les militants se préparent au pire.

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