Économie, minorités, avortement : les paris ratés de Kamala Harris
La vice-présidente américaine espérait capitaliser sur le rejet de Donald Trump, le soutien des minorités et la défense de l’avortement pour devenir la première femme présidente des États-Unis. Une stratégie qui a sous-estimé l’importance des enjeux économiques et du sentiment de déclin ressenti par de nombreux électeurs.
L’histoire est un éternel recommencement. La fameuse phrase « It’s the economy, stupid ! » (« L’économie, il n’y a que cela qui compte ! »), prononcée en 1992 par un conseiller de Bill Clinton après sa campagne victorieuse face à George Bush, a pris au piège la candidate démocrate. Trente-deux ans après, les enjeux économiques ont une nouvelle fois pesé lourd, mardi 5 novembre, dans la défaite de Kamala Harris à l’élection présidentielle américaine face à Donald Trump.
Car si l’état de la démocratie américaine est arrivé en tête des préoccupations pour 35 % des électeurs au moment de glisser leur bulletin dans l’urne, ils sont également 31 % à avoir placé l’économie en première position, selon des sondages à la sortie des urnes. Et parmi les Américains ayant l’économie comme principale préoccupation, les résultats sont sans appel : 79 % ont voté Donald Trump.
Dans le détail, 67 % des Américains considèrent que la situation économique de leur pays n’est « pas si bonne » ou « mauvaise », 45 % jugent que leur propre situation financière est « pire » qu’il y a quatre ans et 75 % estiment que l’inflation a entraîné des « difficultés modérées » ou « importantes » pour leur famille.
Ces jugements négatifs sont encore plus présents chez les électeurs de Donald Trump. Parmi eux, ils sont 69 % à affirmer que la situation économique des États-Unis n’est « pas si bonne » ou « mauvaise » et 80 % à penser que leur propre situation financière est « pire » qu’il y a quatre ans.
Or, ces enjeux économiques ont eu un impact évident sur l’état d’esprit des électeurs, 72 % des Américains se disant « insatisfaits » ou « en colère » par rapport à la direction prise par leur pays. Or, 61 % de ces électeurs ont préféré Donald Trump à Kamala Harris, selon des sondages à la sortie des urnes.
Le bilan de Joe Biden, que portait Kamala Harris sans rien renier, a donc pesé très lourd dans la balance. L’inflation a dépassé les 9 % en 2022 sous l’effet de la reprise après la crise sanitaire du Covid-19 et la flambée des prix de l’énergie liée à la guerre en Ukraine. Et même si les derniers signaux économiques étaient au vert – désormais à 2,3 %, l’inflation américaine est presque revenue à son niveau de janvier 2021 (1,4 %) –, ils n’ont pas suffi à enrayer les sentiments négatifs des électeurs, dont le choix pour la Maison Blanche était de toute façon arrêté avant même le mois de septembre pour 79 % d’entre eux.
L’avortement loin des préoccupations des électeurs
Dans ce contexte, Donald Trump n’a cessé de critiquer l’action des démocrates depuis quatre ans, accusant son adversaire d’avoir « détruit » l’économie américaine. Dès lors, miser sur le rejet du candidat républicain en insistant sur le danger qu’il représenterait pour la démocratie et en comptant sur les minorités ne s’est pas révélé être une stratégie payante pour Kamala Harris, qui a moins convaincu parmi ces groupes d’électeurs – noirs, hispaniques, jeunes, femmes – que n’avait réussi à le faire Joe Biden en 2020.
Kamala Harris a ainsi fait un point de moins que le président sortant chez les électeurs noirs (86 % pour elle en 2024 contre 87 % pour Joe Biden en 2020), douze points de moins chez les électeurs hispaniques (53 % contre 65 %), cinq points de moins chez les 18-29 ans (55 % contre 60 %) et même trois points de moins chez les femmes (54 % contre 57 %), selon des sondages de sortie des urnes.
Dans le même temps, Donald Trump a gagné des électeurs dans presque toutes ces catégories : s’il n’a recueilli que 12 % du vote noir, exactement comme en 2020, il a en revanche progressé de treize points chez les électeurs hispaniques (45 % en 2024 contre 32 % en 2020), de six points chez les 18-29 ans (42 % contre 36 %) et de deux points chez les femmes (44 % contre 42 %).
Cet échec de Kamala Harris pour recueillir le suffrage des femmes est d’autant plus cinglant que la vice-présidente de Joe Biden avait fait de la défense de l’avortement son axe principal de campagne, multipliant les discours et promettant une loi fédérale garantissant le droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG).
Donald Trump avait profondément remanié la Cour suprême entre 2017 et 2021, menant à la décision historique de l’été 2022 qui avait renversé l’arrêt Roe v. Wade. Cette question avait ensuite animé les élections de mi-mandat quelques mois plus tard.
Mais la candidate démocrate n’a pas réussi à imposer ce thème lors de la présidentielle. Loin derrière l’état de la démocratie et l’économie, l’avortement arrivait en tête des préoccupations pour seulement 14 % des électeurs, selon des sondages à la sortie des urnes. Pire, à la question « à qui faites-vous le plus confiance en matière d’avortement ? », 50 % des électeurs ont répondu Kamala Harris contre 44 % pour Donald Trump. Un avantage peu significatif compte tenu des nombreux efforts entrepris sur cette question par la vice-présidente sortante.
Signe du changement de contexte en 2024 : la Floride a voté mardi contre un référendum en faveur du droit à l’avortement, signant ainsi le premier échec d’un scrutin direct sur l’IVG aux États-Unis depuis la décision de la Cour suprême.