La France réussit à expulser un Malien malgré l’opposition des passagers d’un Paris-Bamako
Des gens debout, refusant de s’asseoir et retardant le départ d’un avion : la scène s’est produite à deux reprises en quatre jours sur des vols Paris-Bamako, à l'aéroport d'Orly. Les voyageurs ont été invités à se mobiliser contre l’expulsion d’un passager natif du Mali, qui a embarqué sous escorte policière.
La mobilisation des passagers du vol Paris-Bamako n’aura pas suffi. Moussa Sacko a finalement été expulsé vers le Mali mardi 2 juillet dans l’après-midi. Sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) faute de titre de séjour valide, le jeune homme de 25 ans qui a vécu toute son existence en France, se retrouve éloigné de sa famille pendant au moins trois ans. Une mesure d’éloignement qui illustre la dureté de la nouvelle loi asile et immigration.
Des gens debout, refusant de s’asseoir et retardant le départ d’un avion : la scène s’est produite à deux reprises en quatre jours sur des vols Paris-Bamako, à l’aéroport d’Orly. Les voyageurs ont été invités à se mobiliser contre l’expulsion d’un passager natif du Mali, qui a embarqué sous escorte policière.
Quelques heures plus tôt, sur les réseaux sociaux, les soutiens du jeune homme lancent le hashtag #LiberezMoussa. L’appel, relayé notamment par la militante anti-raciste Assa Traoré ou par le chanteur Kalash, compte sur une mobilisation collective à l’intérieur de l’avion pour empêcher le décollage. La première protestation porte ses fruits : Moussa est finalement ramené au sol.
Une première expulsion retardée, mais non annulée
Né au Mali, mais arrivé en France alors qu’il était enfant, Moussa Sacko est sous le coup d’une obligation de quitter le territoire (OQTF) faute de titre de séjour valide. Toute sa famille vit à Montreuil, en région parisienne, là où il a passé l’essentiel de son existence, a-t-il raconté à Politis
Après la mobilisation des passagers le vendredi 28 juin, il est renvoyé au centre de rétention administratif (CRA) du Mesnil-Amelot en Seine-et-Marne, où il est enfermé depuis un mois. Son expulsion est toujours programmée, mais un point d’interrogation demeure sur la date.
Ce mardi 2 juillet, un nouvel appel surgit sur Twitter. Moussa serait en partance pour l’aéroport. Un nouveau vol Paris-Bamako était effectivement prévu à 13h55. Une information que l’administration du CRA a gardée pour elle. Contactée quelques heures avant l’horaire affiché du départ, Nina Galmot, l’avocate de Moussa, ne savait toujours pas où se trouvait son client. « Tout le monde refuse de me répondre. On me dit que je n’ai pas le droit de connaître ces informations et on me répond finalement qu’il y a un vol à 11 h 00, de l’aéroport de Roissy, vol qui en réalité n’existe pas. »
Le jeune homme n’a lui non plus été informé de rien, alors que « c’est son droit d’être averti d’un départ », précise son avocate. Elle dénonce une pratique de « vols cachés », car les voyages sont censés être systématiquement inscrits sur les registres du CRA, mais celui-là n’y figurait pas. « On nous dit que ce sont des erreurs de l’administration, mais quand ces erreurs se répètent beaucoup, ça interroge », commente Nina Galmot.
Pression policière à l’aéroport
Rapidement, sur Twitter, la photo d’une « note d’information » distribuée aux passagers du vol Corsair à destination de Bamako confirme la présence de Moussa Sacko à bord. Une note précisant : « Vous avez peut-être été sollicité, à titre personnel ou par des incitations, pour vous opposer à l’embarquement d’une personne expulsée de France […] et qui embarquera sur le vol que vous empruntez aujourd’hui ». Quelques lignes signées de la Police aux Frontières (PAF), qui détaillent la liste des peines encourues par quiconque tenterait de s’opposer au décollage de l’appareil.
Quelques minutes plus tard, une vidéo tournée à l’intérieur de l’avion donne à entendre un message d’avertissement diffusé dans les haut-parleurs, menaçant les passagers d’une garde à vue et de « la perte du billet aller-retour ».
Malgré cette pression policière sur les passagers, plusieurs personnes restent debout et parviennent à bloquer l’appareil pendant plus d’une heure. Mais la protestation ne suffit pas. L’avion finira par décoller avec Moussa à son bord.
Un membre de son collectif de soutien, contacté par RFI et qui a requis l’anonymat, était encore sous le choc du départ forcé de son ami : « Nous, on va continuer à le suivre là-bas et à prendre de ses nouvelles le plus possible. On est très touché parce qu’on a beaucoup donné. On est persuadé qu’il aurait dû rester et que tout ça résulte d’une profonde injustice. Il y a énormément de vices de procédure. En même temps, on est touché par le fait que des gens se soient mobilisés pour lui. D’un autre côté, j’ai du mal à réaliser, on est révolté profondément et très touché pour lui. On espère que ça se passera bien pour lui là-bas. »
Une expulsion légale, mais jugée injuste
En 2022, Moussa Sacko avait reçu une première OQTF, suspendue à l’époque par le Tribunal administratif. « Il rentrait dans les dispositions prévues dans l’article L-611.3 qui protégeait les ressortissants étant arrivés avant l’âge de 13 ans, précise Me Nina Galmot. Ces clauses de protection avaient une vraie importance pour la vie privée des individus. Elles visaient des cas spécifiques, des gens présents depuis 10 ou 20 ans de façon régulière sur le territoire français, des enfants scolarisés, des protections qui avaient du sens ».
Lorsqu’il est arrêté par la police en mai 2024, lors de l’évacuation du lieu associatif, le « En Gare », à Montreuil, une nouvelle OQTF est prononcée. Depuis le précédent jugement, la Préfecture n’a jamais délivré le titre de séjour auquel le Tribunal administratif lui donnait droit. Mais cette fois, la clause de protection n’existe plus : elle a été supprimée par la nouvelle loi Asile et Immigration, promulguée en janvier 2024.
Tout s’est accéléré avec le changement de la loi
En situation irrégulière, il est donc envoyé dans un Centre de rétention administratif en vue d’être expulsé. « C’est dur pour lui, il a toute sa vie ici, déplore l’avocate. L’appel qu’on interjettera contre le jugement du tribunal administratif validant l’Obligation de quitter le territoire n’est plus suspensif. Donc un recours sera interjeté devant la Cour administrative d’appel, mais ça ne changera pas le fait que Moussa Sacko sera à Bamako au Mali, pays qu’il ne connait pas du tout puisqu’il est arrivé à l’âge de cinq ans en France. »
À Bamako, Moussa Sacko a donc été accueilli par des membres de l’association malienne des expulsés qui fournit assistance à tout migrant refoulé. Ousmane Diarra est le président de l’organisation : « Nous allons voir avec son collectif de soutien et son avocat pour qu’il puisse rentrer dans son droit. On va essayer de faire un plaidoyer auprès des autorités et les personnes compétentes, c’est-à-dire le ministère et le Haut conseil des Maliens de l’extérieur, et on verra comment ils peuvent nous aider à trouver les moyens faire repartir Moussa Sacko si c’est possible. »