Quelque 1,3 milliard de personnes sur le continent, 2,6 prévus en 2050… et d’ores et déjà, 200 millions d’Africains font partie de la diaspora. Dans leur pays d’adoption, ils participent aux innovations, aux échanges culturels, à l’accélération de l’économie. Ils soutiennent également le développement de leur pays d’origine. Et dans certains d’entre eux, l’importance économique de la diaspora est plus grande que le secteur de l’exportation du pays. Alors, que peut faire la diaspora de plus ? La question a soulevé l’enthousiasme lors du sommet USA-Afrique de Dallas au début du mois. Au Texas, où la majorité de la diaspora africaine se trouve, et Dallas où 3/4 des Kényans de sa diaspora et tous ceux venus du Zimbabwe habitent.
Une coiffure ample, une tenue jaune moulante, Bozoma Saint John est une personnalité du monde du marketing. Passée par Pepsi, Apple, Uber, Netflix, elle est devenue la gourou de la transformation culturelle des géants de la nouvelle économie. « Quand j’étais responsable de la communication commerciale globale d’Apple, nous avons lancé Apple Music. J’ai eu la charge de présenter le produit au monde lors du lancement et j’ai décidé de jouer du Hiplife, ce genre du Ghana inspiré des fanfares, du jazz, du calypso brassé au hip-hop, au funk et au dancehall. Or en 2015, il n’y avait pas de catégorie dans le streaming musical pour cette musique. C’était classé dans le genre « musique du monde ». Les professionnels pensaient que c’était une niche, qu’il serait difficile de connecter une audience mondiale à cette musique. Mais au moment de ma présentation, le buzz en ligne a été immédiat. Et les programmeurs d’Apple Music ont dans la minute créé une nouvelle catégorie de musique, c’était d’abord « musique africaine » puis afrobeat, et toutes les plateformes de streaming musical ont suivi. La diaspora doit être un ambassadeur actif de notre culture, et non restreindre la propagation de notre culture à notre communauté. »
Denim Richards est venu en tenue traditionnelle, modernisée, du Botswana. Connu pour son rôle dans la série Yellowstone (un des deux seuls rôles pour acteurs noirs de la série), l’acteur américain s’est installé dans ce pays en 2020. Il abonde. « On ne pourra pas changer la perception du continent si on ne contrôle pas l’entertainment, le divertissement. On veut notamment développer du cinéma-tourisme. La série Yellowstone a généré 730 millions de dollars de tourisme et 2,1 milliards de visiteurs sont allés dans le Montana juste à cause de la série, générant 10 000 nouveaux emplois. Faisons la même chose pour l’Afrique. On doit développer notre propre industrie culturelle. »
Une idée partagée par Audu Maikori, l’ancien avocat désormais à la tête du label de musique Chocolate City. « En 1983, tous les gros labels de musique étaient au Nigeria. Le jour où le gouvernement changea, ils sont tous partis, et ils ont pris avec eux le catalogue, le système de distribution. Tout. Il y a eu plus de 15 ans de trou avant que certains ne reviennent. » Le pouvoir de la diaspora : être des ambassadeurs de l’Afrique et de l’africanité partout dans le monde. « Il faut que la diaspora aide à créer des plateformes musicales et de vidéos, produites par des Africains et aux mains des Africains. La culture ce n’est pas du divertissement, c’est de l’empowerment, c’est nous rendre le pouvoir ! 25-30% de la musique sur Spotify est de l’afrobeat seule. L’Afrique possède le marché musical qui grossit le plus vite au monde, +24% (contre 10-11% aux USA). Mais nous, Africains, va-t-on en profiter ? »
Augmenter la participation de la diaspora dans les différentes strates politiques américaines
En septembre dernier, l’administration Biden a créé le conseil présidentiel de l’engagement de la diaspora. Deniece Laurent-Matney en est la présidente. Selon elle, l’impact de la diaspora est rendu de plus en plus visible. « Il est nécessaire d’utiliser la diaspora comme un outil, et comme générateur de recommandations de politiques publiques. Les Africains ont grandement participé à la construction des États-Unis, or les Afro-Américains, Afro-Caribéens, les 1ʳᵉ et 2ᵉ générations veulent se connecter avec le continent. C’est notre rôle en tant que gouvernement de leur donner l’espace pour le faire. »
Elsie Sia Kanza, l’ambassadrice de Tanzanie aux USA insiste. « Ma préoccupation actuelle est de voir comment on peut augmenter la participation de la diaspora dans les différentes strates politiques américaines. Que ce soit dans le gouvernement fédéral, au niveau des États ou des villes. C’est important, car c’est là que les décisions sont faites. Avez-vous vu la représentation indienne dans les différentes strates américaines, c’est phénoménal ! On les voit au Congrès, dans l’administration, au niveau local. Ils se positionnent là où sont les ressources. Nous aussi, on a besoin de plus d’engagement politique des diasporas dans le pays où ils habitent ».
Un dernier exemple, Bozoma Saint John raconte que le président ghanéen lui a demandé de réécrire son discours pour les 400 ans du pays (pour la cérémonie du « Year of Return ») « Le texte était très bon, très politique. Mais en quoi cela attire les investisseurs et les consommateurs ? » Elle a ajouté sa touche marketing, comme si c’était pour une des marques pour lesquelles elle a travaillé. Bilan, « 5 ans plus tard, le Ghana a quasiment plus de touristes que l’on peut en accueillir. Je suis fière de ça ». Preuve que la diaspora peut avoir un énorme impact.