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Loi immigration : l’enjeu majeur des travailleurs sans-papiers

L’article 3 du projet de loi immigration, porté par Gérald Darmanin, prévoit l’octroi d’un titre de séjour aux étrangers qui travaillent clandestinement en France dans des secteurs souffrant d’une pénurie de main d’œuvre, comme le BTP ou la restauration. La droite, dont a besoin la majorité pour faire passer le texte, y est opposée, tandis que l’aile gauche de la macronie y est farouchement attachée. Explications.

Un ouvrier arpente le chantier de la nouvelle gare Saint-Denis Pleyel du Grand Paris Express à Saint-Denis, au nord de Paris, le 30 mai 2023.
Un ouvrier arpente le chantier de la nouvelle gare Saint-Denis Pleyel du Grand Paris Express à Saint-Denis, au nord de Paris, le 30 mai 2023. © Geoffroy Van der Hasselt, AFP

Entre l’aile gauche de sa majorité relative à l’Assemblée nationale et la droite, le gouvernement va devoir choisir. Alors que le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, travaille depuis des mois sur son projet de loi immigration, la création d’un titre de séjour pour les sans-papiers travaillant en France dans des métiers en tension, proposée dans l’article 3, est au cœur d’un bras de fer.

Si les députés et sénateurs Les Républicains (LR) applaudissent des deux mains la volonté de l’exécutif de légiférer une nouvelle fois pour accélérer les reconduites à la frontière des étrangers délinquants, ils sont en revanche farouchement opposés à toute régularisation de sans-papiers. Si elle devait passer en l’état, cette loi provoquerait ainsi, selon eux, « un appel d’air » qui entraînerait davantage d’immigration clandestine. Ils refusent par conséquent de voter la loi si l’article 3 est maintenu et brandissent même la menace d’une motion de censure.

« Je n’ai pas peur de faire tomber ce gouvernement », a affirmé mardi 12 septembre, sur Sud Radio, le chef des sénateurs LR, Bruno Retailleau, martelant qu' »un travailleur clandestin n’a pas vocation à rester en France » et prédisant; qu’en l’état, le projet de loi « sera une nouvelle pompe aspirante » pour l’immigration.

Face à cette droite qui montre les muscles et fait pression sur le gouvernement, l’aile gauche de la majorité présidentielle a aussi voulu se faire entendre. Emmenée par le président de la commission des lois Sacha Houlié, dix parlementaires de la majorité ont publié avec des élus du groupe Liot et de la Nupes une tribune, mardi, dans Libération, appelant à la régularisation des travailleurs sans-papiers.

Ces 35 députés et sénateurs signataires – parmi lesquels le patron du Parti communiste et ancien candidat à l’élection présidentielle Fabien Roussel, le chef du groupe socialiste à l’Assemblée Boris Vallaud ou encore l’ancien patron d’Europe Écologie-Les Verts Julien Bayou – réclament des régularisations « dans les secteurs en tension comme le BTP, l’hôtellerie-restauration, la propreté, la manutention, l’aide à la personne ». « Sans eux, ces secteurs et des pans entiers de notre pays ne pourraient fonctionner », soulignent-ils.

S’il n’existe pas de chiffres officiels concernant les sans-papiers, leur nombre est estimé, dans une fourchette large, entre 400 000 et 800 000, selon le Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti). Nombre d’entre eux occupent des emplois laissés vacants par les Français ou les étrangers en situation régulière. C’est ainsi qu’ils se retrouvent dans les métiers peu ou pas qualifiés dans des secteurs dits « en tension » car ayant du mal à recruter : BTP, agriculture, nettoyage, gardiennage, hôtellerie-restauration, services à la personne en particulier.

À lire aussi« Métiers en tension » : les pays européens prennent conscience du manque de main-d’œuvre nationale

Le modèle de « l’immigration choisie » de Nicolas Sarkozy

« Ce sont des métiers non délocalisables qui sont occupés par de nombreux sans-papiers depuis des décennies », déplore Violaine Carrère, juriste au Gisti. « Le plus souvent, ces personnes travaillent sans contrat et sont payées de la main à la main pour un salaire inférieur au Smic et, bien sûr, sans la moindre cotisation sociale, poursuit-elle. D’autres travaillent sous alias en empruntant l’identité d’une personne en situation régulière. D’autres encore ont de faux papiers. Certains, encore, ont un titre de séjour d’un autre pays européen et travaillent en France alors qu’ils n’en ont pas le droit. »

L’article 3 du projet de loi s’inspire en fait de « l’immigration choisie » chère à Nicolas Sarkozy. En 2007, déjà, le ministre de l’Intérieur d’alors, Brice Hortefeux, faisait passer une loi permettant notamment aux employeurs de demander la régularisation de leurs salariés sans papiers si ces derniers travaillent depuis au moins un an dans un secteur et une zone géographique en tension. Cette loi a été complétée en 2012 par la circulaire Valls dont le but était d’harmoniser les pratiques d’un département à l’autre. Actuellement, environ 30 000 régularisations par an s’effectuent par ce biais.

Mais alors que l’obtention de ce type de carte de séjour se fait après une demande de l’employeur et est laissée à l’appréciation du préfet, l’article 3 du projet de loi de Gérald Darmanin place l’initiative de la demande dans les mains du sans-papier.

« C’est une avancée, mais tout cela est quand même d’une hypocrisie totale, regrette Violaine Carrère. Les sans-papiers n’ont officiellement pas le droit de travailler, mais doivent prouver qu’ils ont bien travaillé pendant au moins huit mois pour être régularisés. Par ailleurs, le gouvernement reste dans une logique utilitariste : on veut bien régulariser les sans-papiers lorsqu’ils sont utiles, mais quand on n’a plus besoin d’eux, on les renvoie chez eux. Ce n’est pas de l’accueil, mais de l’utilisation de main d’œuvre. »

Car le titre de séjour ne sera valable qu’un an. Il faudra donc le renouveler constamment. Et le texte de loi ne précise pour le moment pas ce qu’il se passera si le travailleur étranger change d’emploi et passe d’un secteur en tension à un milieu sans difficulté de recrutement. Ou encore si son métier sort de la liste de ceux en tension.

« Il y a urgence à avancer », assure la députée du Maine-et-Loire Stella Dupont (apparentée Renaissance), signataire de la tribune parue dans Libération. « Le pays a besoin de ces travailleurs dans le BTP, la restauration, le soin, l’accompagnement à domicile. Tout le monde se voile un peu la face ou ferme les yeux car on n’a pas de solution. Mais la réalité, c’est que ces gens font tourner notre pays et qu’ils sont aujourd’hui victimes d’une forme d’exploitation des temps modernes car on les enferme dans la précarité. »

« Bénéfique pour l’économie française »

Les travailleurs sans-papiers ne bénéficient en effet d’aucune aide – à l’exception de l’aide médicale d’État – et dorment le plus souvent dans la rue ou dans des squats, selon le Gisti. « Sans papiers, sans reconnaissance, ils éprouvent les plus grandes difficultés pour se nourrir, se loger, se soigner et accéder à une vie sociale normale. La clandestinité les invisibilise, les fragilise et les condamne à la précarisation et à la désocialisation », écrivent les signataires de la tribune.

« Les régulariser leur permettrait de s’intégrer pleinement et de mener une vie digne, mais ce serait aussi bénéfique pour l’économie française, ajoute Violaine Carrère. Car qui dit feuille de paie, dit cotisations sociales. Et avec un vrai salaire, on peut dépenser davantage. Et qui dit consommation, dit TVA. »

Du côté des employeurs, hormis les restaurateurs qui soutiennent la régularisation des sans-papiers, la discrétion dans le débat est de rigueur. Pour le Gisti, c’est le signe que la plupart d’entre eux s’accommodent très bien d’un statu quo qui permet de faire pression sur les salaires ou sur les conditions de travail.

« Les employeurs voyous, ça existe. Mais il y en a aussi beaucoup qui préféreraient être dans les clous, nuance Stella Dupont. Quand je rencontre un restaurateur qui n’a aucune candidature et qui se retrouve face à un choix difficile et se voit contraint de sortir du cadre, il trouve ça dommage. »

Le gouvernement ira-t-il dans ce sens en maintenant son article 3 du projet de loi ou bien cédera-t-il aux pressions de la droite et de l’extrême droite ? « L’ensemble de la majorité tient à cette mesure », a assuré mardi matin le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, sur CNews et Europe 1.

« Ceux qui vous vendent un appel d’air lié à la loi immigration vous mentent », a-t-il estimé. « On parle de quelques milliers de personnes », a-t-il minimisé, citant en exemple l’Allemagne « et même le Danemark » dont les taux de natalité sont en baisse et qui « aujourd’hui structurent l’arrivée d’étrangers en disant ‘si vous venez dans notre pays, vous prenez un travail et vous participez à l’activité économique de notre pays' ».

Les débats s’annoncent d’ores et déjà électriques. Selon le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, le texte devrait arriver le 6 novembre au Sénat en séance publique, puis début 2024 à l’Assemblée nationale.

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