Madagascar est le premier pays d’Afrique pour lequel l’ingérence électorale russe a pu être documentée puis prouvée. Lors de l’élection présidentielle de 2018, entre six et neuf candidats sur les trente-six qui briguaient la magistrature suprême ont bénéficié de l’aide de mystérieux stratèges de Moscou. Un mode opératoire méthodique et bien rodé, dans l’un des pays les plus pauvres du monde, mais où le coût d’une campagne électorale est, dit-on, parmi les plus élevés de la planète, du fait d’une loi électorale permissive qui ne prévoit aucun plafonnement et autorise les financements étrangers. La correspondante de RFI à Madagascar revient sur cette élection présidentielle « truquée » avec la journaliste d’investigation qui a démontré l’influence russe dans un documentaire diffusé en avril 2019 sur la BBC.
De notre correspondante à Antananarivo,
« Je ne savais pas qui les envoyait, mais ce que je savais, c’est que c’étaient des Russes et qu’ils venaient ici pour me soutenir ! Donc moi, je n’ai pas cherché midi à 14h ». Pasteur Mailhol est l’un des premiers candidats de l’élection présidentielle malgache de 2018 à reconnaître, face à la journaliste d’investigation Gaëlle Borgia, avoir bénéficié de l’aide des Russes.
Dans son documentaire intitulé Madagascar, la Russie aurait-elle manipulé la présidentielle ?, la journaliste franco-malgache révèle la manière dont les hommes de Wagner s’y sont pris pour influencer le scrutin. « Durant notre enquête, on a pu identifier une demi-douzaine de candidats à la présidentielle malgache qui ont été approchés par des Russes. Ces derniers se présentaient comme des stratèges électoraux. Ils disaient avoir une expérience dans des élections en Afrique », raconte Gaëlle Borgia.
Très vite, les dizaines de Russes entrés sur le territoire grâce à un visa touristique, proposent une aide logistique et financière. Omer Beriziky, ancien Premier ministre et candidat à l’élection, relate dans le documentaire, les échanges initiaux qu’il a eus avec ses interlocuteurs : « Ils m’ont demandé si j’étais prêt à ouvrir la diplomatie malgache vers d’autres horizons. J’ai dit bien évidemment ! Et ils m’ont dit : on va vous aider. Question de Gaëlle Borgia : Et votre budget arrêté avec les Russes s’élevait à combien à peu près ? Réponse : Un peu moins de 2 millions de dollars ».
« Les Russes promettaient de grosses sommes »
« Ce que l’on sait, précise la journaliste d’investigation, c’est que pour cette ingérence électorale à Madagascar, les Russes promettaient de grosses sommes. Des promesses qu’ils n’ont pas toujours honorées. Ils avaient un gros budget pour imprimer un journal gratuit diffusé en dehors de la capitale où étaient publiés des articles en faveur des candidats qu’ils soutenaient. Et ça, c’étaient des milliers d’impressions hebdomadaires ».
Progressivement, les généreux financeurs intègrent les équipes de leurs différents poulains.
Au cœur des états-majors de campagne
« Petit à petit, ils sont même devenus des cadres de campagne électorale malgache. Et selon les témoignages qu’on a eus, les membres des équipes électorales malgaches ont fini par être sous leurs ordres », précise la journaliste
Extrait du documentaire : « C’était comme si c’étaient eux qui décidaient ce que nous devions faire et on devait s’exécuter. J’avais l’impression que nous étions plus des prestataires plutôt que l’équipe de campagne du candidat ». Quant à la contrepartie, les négociateurs sont clairs sur celle-ci : « Si un des candidats se retrouvait au second tour, eh bien les perdants soutenus par les Russes devraient soutenir ce candidat vainqueur. »
Alors, Andry Rajoelina, l’actuel président, doit-il sa victoire aux Russes ?
« On sait que les Russes l’ont approché au moment du second tour – ils ont d’ailleurs changé leur fusil d’épaule puisque au départ, ils pensaient plutôt soutenir le président sortant Hery Rajaonarimampianina –, on sait qu’après son élection, des Russes ont rencontré les ministres du gouvernement malgache, de manière secrète. Mais aujourd’hui, c’est difficile de prouver qu’Andry Rajoelina a eu une aide russe pour parvenir à gagner l’élection présidentielle », explique Gaëlle Borgia.
Quant aux prochaines élections prévues en fin d’année, des sources viennent de nous informer que plusieurs membres chargés de l’ingérence électorale sont en train de quitter l’Île. La fin d’une stratégie russe en terre malagasy ? Ou le début d’un nouveau chapitre ?