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Sénégal : après la renonciation, la succession de Macky Sall en question

Le président sénégalais, Macky Sall, a annoncé, lundi, qu’il ne sera pas candidat à un troisième mandat pour la présidentielle de 2024. Un renoncement qui a décrispé le climat politique, devenu explosif dans le pays, mais qui ouvre aussi une période d’incertitude à huit mois du scrutin.

Le président Macky Sall salue ses supporters après sa victoire à l'élection présidentielle, le 24 février 2019.
Le président Macky Sall salue ses supporters après sa victoire à l’élection présidentielle, le 24 février 2019. © Seyllou, AFP

Immédiatement, les réactions se sont multipliées, de nombreuses voix faisant part de leur « soulagement » alors que l’hypothèse d’une candidature du président sortant électrisait le pays depuis plusieurs mois, ses opposants la jugeant contraire à la Constitution. Macky Sall,  élu tour à tour en 2012 et en 2019,  avait en effet fait réviser le texte pour y inscrire que « nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ». S’il assurait qu’il se soumettrait à cette règle, il affirmait toutefois que cela ne le concernait pas puisqu’il avait exercé son premier mandat avant la réforme et entretenait le flou sur ses intentions. 

« Globalement, son discours a provoqué un ouf de soulagement dans la société civile mais aussi dans les rues », témoigne Sarah Sakho, correspondante de France 24 à Dakar. « Toute la journée de lundi, les Dakarois ne cachaient pas leur inquiétude, craignant des violences si Macky Sall se présentait officiellement à la prochaine présidentielle. » 

Au lendemain du discours, le président a ainsi fait la une de tous les journaux, qui ont tiré, entre autres : « Macky, quelle grandeur ! », « Macky sort par la grande porte », « Macky au panthéon des grands hommes ». « Désormais, Macky Sall sera respecté. Il a fait ce qu’il fallait pour le Sénégal. Son geste est noble », a de son côté réagi une femme au micro de France 24. « Il a fait une promesse aux Sénégalais et il l’a tenue », a félicité un autre. 

Une dizaine de candidats à sa succession

« Si beaucoup saluent cette décision, y voyant le début d’un apaisement dans le pays, cela apporte aussi son lot d’incertitudes », nuance cependant Francis Kpatindé, maître de conférences à Sciences-Po Paris et spécialiste du Sénégal. « Et une question majeure : qui pour succéder à Macky Sall ?« , lance-t-il.

Selon le spécialiste, plusieurs noms circulent au sein de l’Alliance pour la République (APR), le parti fondé en 2008 par Macky Sall, où on plaidait majoritairement en faveur d’un nouveau mandat du président sortant : Amadou Ba, l’actuel Premier ministre, Aly Ngouille Ndiaye, le ministre de l’Agriculture ou encore Abdoulaye Diouf Sarr, le ministre de la Santé. « Mais toutes les options semblent sur la table, » estime-t-il. D’autant plus que le processus pour désigner son successeur reste pour le moment vague.

« Qu’adviendra-t-il aussi du Benno Bokk Yakaar (BBY), la coalition présidentielle, qui réunit quatre des principaux partis du pays : l’APR, le Parti socialiste (PS), l’Alliance des forces de progrès (AFP) et Rewmi ? », interroge de son côté Babacar Ndiaye, analyste politique, directeur de la recherche du cercle de réflexion Wathi, basé à Dakar. « L’annonce de Macky Sall a été tardive et la coalition se retrouve sans candidat à huit mois du scrutin. Il va falloir trouver rapidement quelqu’un au sein de la coalition capable de fédérer et de rassembler », poursuit-il, évoquant l’idée de primaires, qui seraient une nouveauté.

La question est d’autant plus brûlante que le président du Rewmi, l’ancien opposant et ex-Premier ministre Idrissa Seck, avait provoqué une scission et officialisé sa candidature à la présidentielle dès le mois d’avril. L’homme politique de 63 ans était arrivé deuxième lors du dernier scrutin en 2019. En 2024, ce sera sa quatrième candidature à la magistrature suprême. 

Karim Wade et Khalifa Sall en lice ?

Du côté de l’opposition, en revanche, les prétendants semblent se mettre en ordre de marche. « Plusieurs candidats sont déjà déclarés comme Aminata Touré – ancienne Première ministre de Macky Sall qui avait claqué la porte de la majorité en septembre 2022, ou encore Abdoul Mbaye, Premier ministre juste avant elle. »

« Se pose cependant toujours la question de l’éligibilité ou non des opposants Khalifa Sall et Karim Wade« , poursuit Francis Kpatindé. L’avenir des deux hommes avait été l’un des points les plus attendus du dialogue national entre le pouvoir et l’opposition en juin. Normalement, le Code électoral rend inéligible de façon permanente quiconque a été condamné à une peine supérieure à cinq ans de prison. Or, Karim Wade, fils de l’ancien président Abdoulaye Wade, avait été condamné en 2015 à six ans de prison ferme pour enrichissement illicite, avant d’être gracié et de s’exiler au Qatar. Khalifa Sall, ancien maire de Dakar, avait quant à lui été condamné à cinq ans de prison ferme pour détournements de fonds publics, avant d’être gracié.

À voir aussiKhalifa Sall, opposant politique sénégalais et ancien maire de Dakar : « Je serai candidat en 2024 »

Lors du dialogue national, la commission politique s’est cependant prononcée en faveur d’une modification du texte, qui permettrait une réhabilitation des droits civiques et politiques des personnes condamnées qui ont bénéficié d’une grâce présidentielle et qui ont purgé leur peine. « Les deux hommes devraient donc pouvoir se présenter à l’élection. Mais pour le moment, le calendrier de mise en place de la mesure reste très flou », note Francis Kpatindé.

« Le dialogue national avait par ailleurs permis de revenir sur la question sensible des parrainages – un filtre qui avait écarté de nombreux candidats de l’opposition à la présidentielle de 2019″, rappelle le spécialiste. « Le nombre de signatures obligatoires a été revu à la baisse et les candidats devraient désormais pouvoir faire valider leur candidature par des élus. » Autant de mesures qui « permettraient d’avoir davantage de candidats au scrutin », résume Francis Kpatindé, qui s’attend à des dizaines de prétendants à la succession de Macky Sall. 

La grande inconnue Ousmane Sonko

Reste, surtout, la grande inconnue liée au sort de l’opposant politique Ousmane Sonko. Le 1er juin, ce dernier a été condamné, en son absence, à deux ans de prison ferme dans une affaire de mœurs, le rendant en l’état actuel inéligible. Un procès, dénonce-t-il sans relâche, destiné à l’écarter de la vie politique. Le tribunal ne s’était cependant pas prononcé sur une éventuelle arrestation. Dans la foulée de sa condamnation, de graves troubles avaient éclaté dans le pays, faisant 16 morts selon les autorités, 24, selon Amnesty international et une trentaine, selon l’opposition.

« Et dans les rangs de l’opposition, l’idée d’une candidature de Macky Sall cristallisait autant la colère que le sort d’Ousmane Sonko », estime le spécialiste. « Cette décision du président de renoncer à un troisième mandat est une victoire du peuple sénégalais qui avait fait comprendre qu’il n’accepterait un troisième mandat d’aucun président », a ainsi félicité sur l’antenne de France 24 Yassine Fall, vice-présidente du Pastef, le parti d’Ousmane Sonko. Avant d’ajouter : « Mais il est hors de question que nous laissions Macky Sall décider de qui sera candidat en excluant, au travers d’un procès politique, son principal opposant. »

Ousmane Sonko avait appelé, dimanche soir, à la mobilisation, quelle que soit l’issue du discours pour mener « le combat définitif ». Un appel finalement peu entendu par la population. « Mais cela pourrait vite changer et les tensions pourraient être ravivées en fonction de son avenir », tranche Francis Kpatindé. 

L’opposant, qui assure être bloqué par les forces de sécurité chez lui à Dakar depuis le 28 mai, peut désormais être arrêté à tout moment. Si tel était le cas, les cartes pourraient alors être rebattues. Jugé par contumace, Ousmane Sonko aurait le droit, s’il se constituait prisonnier ou s’il était arrêté, de réclamer un nouveau procès. Ce qui annulerait sa condamnation. Autrement dit, les compteurs seraient remis à zéro, y compris concernant son inéligibilité. « Le feuilleton judiciaire est donc loin d’être terminé et peut raviver les tensions à tout moment », résume Francis Kpatindé.

« Ce sera la première fois dans le pays qu’un président sortant ne sera pas candidat à sa réélection. Cela va ouvrir le jeu », conclut de son côté Babacar Ndiaye. « Maintenant, il faut espérer que cela pourra aussi permettre aux successeurs potentiels de dérouler leur programme avec des sujets majeurs : la santé, l’éducation, l’emploi des jeunes. »

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