Législatives : derrière le duel Nupes-Ensemble, une percée historique pour le Rassemblement national
Le Rassemblement national de Marine Le Pen a obtenu 18,68 % des voix, dimanche, lors du premier tour des élections législatives, recueillant plus d’un million de voix supplémentaires par rapport à 2017. Une percée historique qui lui laisse entrevoir un nombre record d’élus à l’Assemblée nationale.
« Nous sommes là, nous sommes bien là, nous sommes en dynamique forte depuis 2017. » Marine Le Pen avait le sourire, lundi 13 juin, au lendemain du premier tour des élections législatives, lors de son déplacement à Rouvroy, dans son fief du Pas-de-Calais.
En obtenant 18,68 % des suffrages, dimanche soir, son parti peut espérer l’élection de « dizaines de députés » à l’Assemblée nationale. Mais surtout, le Rassemblement national progresse considérablement en cinq ans en obtenant 1 258 172 voix de plus par rapport au premier tour des législatives 2017, soit une progression de 5,48 points.
« Nous sommes les seuls à être en réalité en forte dynamique depuis 2017, car entre 2017 et aujourd’hui la gauche et l’extrême gauche confondues est en recul ou en stagnation, En Marche est en recul fort, LR est en capilotade et le Rassemblement national lui est en forte progression », a jugé la députée sortante du Pas-de-Calais, qui, avec 53,96 % des voix mais une participation insuffisante, a manqué de peu sa réélection dès le premier tour.
« C’est un résultat historique pour l’extrême droite dans son ensemble puisque ce bloc obtient plus de 5 millions de voix », souligne le sociologue Ugo Palheta, maître de conférences à l’Université de Lille et auteur du livre « La Possibilité du fascisme » (La Découverte, 2018). « Jamais elle n’avait été présente, au cours des 40 dernières années, dans autant de seconds tours. Le RN peut faire mieux qu’en 1986, alors qu’il y avait de la proportionnelle cette année-là. »
Alors dirigé par Jean-Marie Le Pen, le Front national avait obtenu 35 députés lors des législatives de 1986 grâce, notamment, à l’introduction de la proportionnelle départementale. Trente-six ans plus tard et sans proportionnelle, la fille du fondateur du parti d’extrême droite pourrait donc faire mieux. Le RN présentera, dimanche 19 juin, plus de 200 candidats au second tour.
Un ancrage électoral de plus en plus profond
La campagne des législatives menée par Marine Le Pen a pourtant été peu offensive, voire timide. Partie en vacances après sa défaite à l’élection présidentielle face à Emmanuel Macron, elle a offert, pour son retour médiatique deux semaines plus tard, des pronostics jugés démobilisateurs. « Je pense que la logique des institutions veut que le président de la République ait une majorité. Tous ceux qui racontent autre chose racontent des fables », déclare-t-elle le 10 mai au 20 h de TF1 en ciblant Jean-Luc Mélenchon. Puis, elle s’est le plus souvent contentée de faire une campagne de terrain a minima, menée essentiellement dans son fief du Pas-de-Calais.
« Pour faire campagne aux législatives, il faut des cadres sur tout le territoire et le RN en manque. Mais ses bons résultats au premier tour montrent malgré tout un ancrage politique et électoral tout à fait solide dans plusieurs territoires, avec une capacité à réaliser de très gros scores, y compris lorsque ses candidats ne tiennent pas la route », note Ugo Palheta, en référence aux mésaventures de plusieurs candidats RN bafouillant leurs réponses dans des débats organisés par les chaînes de télévision locales.
Le RN obtient ainsi de très bons résultats dans le nord de la France, dans le sud-est et à l’est : 12 candidats qualifiés au second tour sur 12 dans le Pas-de-Calais, 8 candidats qualifiés sur 8 dans le Var, 5 candidats qualifiés sur 6 dans le Gard, 5 candidats qualifiés sur 5 dans l’Aisne ou encore 8 candidats qualifiés sur 9 en Moselle, avec dans l’ensemble de ces cinq départements 26 premières places sur 40 possibles.
Surtout, la division de l’extrême droite n’a pas porté préjudice à Marine Le Pen, qui a de nouveau gagné son match à distance avec Éric Zemmour, déjà remporté par K.O. au premier tour de l’élection présidentielle. Aucun des candidats présentés par Reconquête! ne s’est qualifié au second tour des législatives.
Lors d’une conférence de presse à Paris, lundi, le président par intérim du RN, Jordan Bardella, a souligné que Reconquête!, qui a obtenu 4,24 % des suffrages au niveau national, n’avait pas empêché le RN de se qualifier « dans des circonscriptions gagnables » et a appelé ses électeurs « à s’apercevoir que le chemin qu’on est en train de construire (…) va nous mener au pouvoir ». Marine Le Pen a elle aussi « souhaité » que les électeurs du parti d’Éric Zemmour votent pour le RN dimanche prochain.
Le parti de Marine Le Pen a par ailleurs réalisé une belle affaire sur le plan financier. En récoltant dimanche 4 248 626 voix, il pourra compter chaque année sur au moins 6,9 millions d’euros d’argent public, puisque chaque voix gagnée donne droit à 1,64 euro par an. Une manne bienvenue pour un parti endetté à plus de 20 millions d’euros.
Des résultats ternis par la dynamique Nupes
« Pour autant, les résultats du Rassemblement national sont décevants par rapport à ce qu’il pouvait envisager il y a encore deux mois, nuance Ugo Palheta. On est loin des plus de 8 millions de voix obtenues au premier tour de la présidentielle. Marine Le Pen n’a pas réussi à trouver la réponse face à la dynamique de la Nupes et va devoir composer à l’Assemblée nationale avec un bloc de gauche très important qui jouera a priori le rôle de première opposition au gouvernement. »
L’union de la gauche a d’ailleurs permis de barrer la route au RN dans de nombreuses circonscriptions. Dans la première circonscription de l’Hérault, par exemple, la candidate du RN, France Jamet, est éliminée malgré un score de 20,58 %, quand le candidat de la Nupes, Julien Colet, arrive en tête avec 26,94 % des voix. En 2017, le même Julien Colet, alors étiqueté La France insoumise, avait fini troisième derrière France Jamet.
Marine Le Pen reprendra-t-elle sa place revendiquée d’opposante numéro 1 à Emmanuel Macron ? Cela dépendra d’abord de la longévité politique de la Nupes, mais aussi de la stratégie du président de la République pour son second quinquennat. « Emmanuel Macron a favorisé depuis 2017 ce tête-à-tête avec l’extrême droite, mais il pourrait désormais cibler la gauche », note Ugo Palheta.
De son côté, la cheffe de file du RN qualifie la Nupes d' »opposition en carton-pâte » et renvoie dos à dos les deux coalitions arrivées en tête dimanche soir au premier tour des législatives. « Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron défendent une République indigéniste. À l’Assemblée nationale, les députés RN défendront la République, la Constitution française, la laïcité, l’unité du peuple face au communautarisme », a-t-elle tweeté lundi après-midi, misant ainsi sur les fondamentaux identitaires de son parti pour mobiliser son électorat en vue du second tour.