« Mamadou Konté, l’inventeur de la world music à la française »
CHRONIQUE
A l’occasion du festival Africa Fête, qui se déroule du 15 au 30 juin à Marseille, notre chroniqueur rend hommage à son fondateur.
Le mercredi 19 juin a marqué le 22e anniversaire de la disparition de Mamadou Konté. Pour cette occasion, aucune cérémonie officielle, mais des proches éparpillés aux quatre coins du monde qui ont échangé photos souvenirs et témoignages chaleureux. Car si la biographie officielle de Mamadou Konté se résume à une poignée de dates, sa légende est, elle, riche et vivace. Je n’ai jamais rencontré la longue silhouette filiforme de Mamadou Konté. Pourtant, son éternel chapeau rond vissé sur ses dreadlocks, son sourire proverbial et sa barbichette en bataille me sont aussi familiers que les traits de mon propre père.
Né vers 1945 ou 1946 en pays soninké, Mamadou Konté se joue des assignations à domicile. Pour certains, il est malien. Pour d’autres, il reste sénégalais de cœur. Passé l’adolescence, il s’embarque pour l’aventure comme beaucoup de jeunes de sa région. Après une traversée clandestine dans les soutes d’un vieux paquebot, le voilà à Marseille en 1965.
Il apprend à lire à partir de tracts politiques
Quelques mois plus tard, Mamadou Konté est ouvrier en région parisienne. Comme ses congénères, il partage son temps entre l’usine et le foyer Sonacotra où il est logé. Illettré, jeune, noir, immigré et musulman, personne ne parierait un franc sur le sort du Soninké censé finir ses jours là où il a commencé sa carrière : au plus bas de l’échelle dans la France du deuxième gouvernement de Georges Pompidou.Lire aussi Au Festival gnaoua d’Essaouira, des fusions musicales tous azimuts
Mais c’était sans compter avec l’esprit libertaire de Mai 68 qui parvient à changer radicalement le destin du Sahélien. Des militants d’extrême gauche se lient d’amitié avec des jeunes ouvriers africains. Le courant passe. Mamadou Konté apprend à lire à partir des tracts politiques. En 1969, il organise avec une poignée de camarades les grèves de loyers dans les foyers de travailleurs immigrés. Les ouvriers gagnent la partie contre les gérants de foyers insalubres. Une première.
Arrivé au pouvoir en 1974, le président Giscard d’Estaing lance une politique d’aide au retour pour les immigrés s’engageant à quitter l’Hexagone. Mamadou Konté et les siens créent une association d’aide au retour des travailleurs africains. Il s’agit de préparer intelligemment le retour au pays de ceux qui le désirent. Ce travail collectif a pour principal vecteur le champ culturel. L’intuition de Konté est payante. Les liens entre le monde immigré et les artistes se renforcent à partir de 1976.
Et le chanteur français François Béranger compose dans la foulée le célèbre tube Mamadou m’a dit, un plaidoyer caustique pour la fraternité toujours d’actualité. Le festival Africa Fête prend son essor en 1978. Quelque 10 000 personnes se tassent dans l’hippodrome de Pantin. Un succès qui en appelle d’autres. La crème des chanteurs engagés (Béranger, Lavilliers, Nougaro, Mouloudji…) est là à communier avec les artistes africains, désireuse de faire découvrir les musiques africaines au plus grand nombre. Mamadou Konté a réussi son pari. Il ne retournera plus à l’usine, il plantera des rêves.Lire aussi Au Sénégal, le jazz contre vents et marées
En 1981, François Mitterrand hisse la gauche au pouvoir et redonne espoir aux franges populaires, dont les immigrés. De Xalam aux Touré Kunda, de Pierre Akendengué à Toto Bissainthe, de Salif Keita à Youssou Ndour et Baaba Maal, tous les artistes africains et afro-caribéens ont été poussés par Mamadou Konté. A partir de 1985, sa réputation franchit les frontières. Associé au célèbre Chris Blackwell (le fondateur du label Island Records qui mit sur orbite notamment Bob Marley et Fela Kuti), le festival Africa Fête magnétise les foules à Dakar comme à New York.
De 1993 à 2001, on ne compte pas moins de six grandes tournées annuelles, chacune attirant plus de 100 000 spectateurs, pour mettre en valeur des artistes neufs et talentueux, à l’instar d’Oumou Sangaré, d’Angélique Kidjo, de Papa Wemba ou encore de Femi Kuti. C’est l’apogée pour Mamadou Konté qui n’a jamais perdu sa boussole africaine. Dès 1994, il crée la Villa Tringa, un centre culturel dans la banlieue dakaroise, réunit les acteurs de la profession, fonde un syndicat des producteurs et éditeurs phonographiques du Sénégal, prend sous son aile des jeunes gens passionnés.
La vie est un perpétuel mouvement. A partir de 1998, Africa Fête connaît d’insurmontables difficultés financières. Mamadou Konté meurt en 2007 dans un relatif isolement, mais il était écrit que l’aventure continuerait, comme il l’a souhaité, après sa disparition. Le festival renaît à Marseille en 2006 porté par Cécile Rata, sa fidèle et jeune collaboratrice. Le plus vieux des festivals de musiques africaines fait peau neuve à Marseille. Pour sa 15e édition, du 15 au 30 juin, il fait la part belle aux artistes et aux ressortissants des îles (Cap-Vert, Maurice, Madagascar, les Comores, Sao Tomé-et-Principe, Haïti, les Caraïbes), faisant battre le cœur de la cité phocéenne au rythme des musiques africaines. Le plus bel hommage à Mamadou Konté.
Abdourahman A. Waberi est un écrivain franco-djiboutien, professeur à la George-Washington University et auteur, entre autres, de Moisson de crânes (2000), d’Aux Etats-