Européennes : les partis politiques français s’organisent pour contrer les « fake news »
Les partis politiques français se lancent dans la campagne des élections européennes (26 mai) en ayant à l’esprit l’obligation de composer avec les fausses informations qui ont déjà commencé à envahir les réseaux sociaux.PUBLICITÉ
« Les fake news sont le bras armé du RN et de ses alliés. » Avec ces mots, prononcés lors d’une interview publiée dans Le Monde, le 15 février, le directeur de campagne de La République en marche (LREM) pour les élections européennes, Stéphane Séjourné, a donné le ton. Selon lui, la propagation de fausses informations est devenue « un outil » au service d’un « bloc constitué autour des ultraconservateurs et des nationalistes » qui souhaiterait mettre à mal la « démocratie libérale ». Un « danger » tellement pris au sérieux par La République en marche qu’une cellule « anti-fake news » y a récemment été mise en place.
Selon Stéphane Séjourné, le dispositif sera composé de cinq salariés du parti, dédiés à plein temps à cette cellule, aidés par des militants bénévoles, pour faire un travail de veille, alerter l’opinion sur les réseaux sociaux, ainsi que les médias via une conférence de presse hebdomadaire.
Le Rassemblement national, avec lequel LREM est au coude-à-coude dans les sondages pour les européennes, n’hésite pas, en effet, à employer des contre-vérités. Ces derniers mois, le parti d’extrême droite s’est notamment illustré en affirmant que le traité d’Aix-la-Chapelle, signé le 22 janvier 2019 entre la France et l’Allemagne, provoquerait la vente de l’Alsace et de la Lorraine à Berlin et le partage avec les Allemands du siège français au Conseil de sécurité de l’ONU. Quelques semaines auparavant, Marine Le Pen avait également dénoncé le pacte de Marrakech sur les migrations, ratifié le 19 décembre à l’ONU, évoquant « un droit à l’immigration généralisée », alors que ce pacte ne contient que des objectifs non contraignants visant à « améliorer la coopération en matière de migrations internationales ».
« Le traité d’‘AixlaChapelle est une trahison. #Macron vend à la découpe notre pays et effondre sa souveraineté : il va détruire ce que le Général de Gaulle avait fait, en envisageant de partager notre siège au Conseil de sécurité de l’ONU avec l’Allemagne ! » #19hRuthElkrief2 00308:48 – 16 janv. 20191 774 personnes parlent à ce sujetInformations sur les Publicités Twitter et confidentialité
Cette distorsion des faits semble avoir été directement empruntée à Donald Trump. Le président américain clame régulièrement des contre-vérités pour défendre ses idées. Or, l’homme derrière cette stratégie durant la campagne présidentielle du candidat républicain, Steve Bannon, a fait de l’Europe son nouveau terrain de jeu. Il travaille désormais avec les différents partis populistes du Vieux Continent et s’était d’ailleurs rendu, en mars 2018, au congrès du Front national (devenu depuis Rassemblement national) à Lille.
Jordan Bardella illustre parfaitement ce glissement : la tête de liste du Rassemblement national pour les européennes n’a pas hésité à soutenir, sur France Inter, qu’il avait « le droit d’avoir un avis divergent » au sujet du traité d’Aix-la-Chapelle en pointant du doigt des dangers qui ne figurent pourtant pas dans ce traité.
Le livre de Philippe de Villiers sur la construction de l’Union européenne (UE), « J’ai tiré le fil du mensonge et tout est venu » (éd. Fayard), paru le 6 mars, est un autre exemple de cette stratégie. Reposant sur de nombreuses affirmations contredites par les historiens, le livre de l’ancien candidat royaliste à l’élection présidentielle vise en réalité « à faire le jeu des ennemis de l’UE, de ceux qui, à Moscou comme à Washington, veulent affaiblir l’Europe », estime le président de la Fondation Robert Schuman, Jean-Dominique Giuliani, dans le Journal du Dimanche.
« La diffusion des ‘fake news’ n’est pas l’apanage des formations extrémistes »
Faut-il donc s’attendre à une campagne polluée à l’envi par les « fake news » avancées par le RN, Debout la France, Philippe de Villiers et les forces étrangères ayant intérêt à voir progresser les partis europhobes ? Ce serait leur donner trop de crédit, estime Antoine Léaument, responsable de la communication numérique de La France insoumise, interrogé par France 24. Il considère que la communication de La République en marche sur sa cellule anti-fake news relève davantage d’une stratégie de campagne globale visant à installer pour de bon un match entre LREM et le RN.
« C’est leur grand truc de parler de l’ingérence russe, mais pour moi, l’ingérence du Medef ou des neuf milliardaires qui contrôlent les médias en France est plus grande que celle de la Russie », affirme Antoine Léaument.
Pour autant, La France insoumise se soucie également des fausses informations la concernant et y répond « au cas par cas », soit en portant plainte pour faire supprimer les contenus des réseaux sociaux lorsque ceux-ci visent directement Jean-Luc Mélenchon ou d’autres membres du LFI, soit en faisant sur les réseaux sociaux un décryptage lorsque ceux-ci concernent leur programme.
« On a une équipe ‘désintox’ qui a l’habitude de faire des articles détaillés pour répondre à la propagande de la majorité, qui prétend présenter de façon neutre certaines questions, notamment économiques, mais qui véhiculent toujours en réalité une opinion politique. Elle sera opérationnelle durant la campagne des européennes », explique Antoine Léaument.
« La diffusion des ‘fake news’ n’est pas l’apanage des formations extrémistes qui cherchent à discréditer l’Europe », abonde Stéphane Delpeyrat, en charge de la « cellule riposte » au sein de Génération.s, le parti de Benoît Hamon, contacté par France 24.
Alors que le feuilleton de la désunion des partis de gauche a rythmé le début de la campagne des européennes, chaque chapelle se renvoie la balle pour désigner un coupable. Dernier épisode en date : une petite phrase, rapportée par Le Monde, qu’aurait prononcée Benoît Hamon après l’alliance entre Place publique et le Parti socialiste, selon la tête de liste de ces deux partis, Raphaël Glucksmann : « Je préfère crever en vous faisant échouer, plutôt que crever en vous voyant réussir. »
« On nous fait le reproche de diviser la gauche alors que depuis trois mois, on a proposé plusieurs solutions, comme se ranger derrière Yannick Jadot ou organiser une votation citoyenne. Notre cellule vise à apporter des clarifications sur ces attaques qui viennent de nos concurrents directs », indique Stéphane Delpeyrat.
« Il est quasi impossible de supprimer complètement une fausse information d’Internet »
Même remarque chez Place publique, où l’on constate que le passé de Raphaël Glucksmann fait l’objet de nombreux commentaires sur les réseaux sociaux. « On a subi des attaques malveillantes de personnes, souvent situées à l’extrême gauche, qui entendent caricaturer ou dénaturer certains de ses propos ou engagements passés », rapporte Saïd Benmouffok, porte-parole du jeune parti politique, contacté par France 24. « On y répond en diffusant un contre-discours pour rétablir la vérité. Mais c’est compliqué car c’est un travail de fourmi. Quand on a affaire à des trolls, on sait qu’on n’arrivera pas à les convaincre. Mais l’important, c’est de ne pas laisser qu’une seule voix s’exprimer pour qu’une personne de bonne foi puisse aussi avoir le point de vue contraire. »
Bien souvent, les internautes qui relaient des fausses informations n’ont pas conscience de le faire, estime Antoine Léaument de La France insoumise. Mais même en apportant un démenti, les « fake news » restent très difficiles à contrer, regrette-t-il : « Il n’y a pas vraiment de méthode, car à partir du moment où elle circule sur Internet, il est quasi impossible de supprimer complètement une fausse information. »
« Il faut être très factuel, très précis, si possible en utilisant la dérision et l’humour dans des petites vidéos pour amener les gens à douter des ‘infos’ qu’ils ont vues », explique de son côté Stéphane Delpeyrat de Génération.s, tout en concédant que la bataille est asymétrique.
« Le problème, c’est que les gens ne font plus la différence entre ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas, poursuit-il. Or, le rapport à la vérité est devenu très relatif, y compris au sein du gouvernement qui produit un langage de communication plutôt que de vérité. On le voit avec les Gilets jaunes au sujet des chiffres de la mobilisation ou des violences policières : ce n’est pas un discours de vérité, mais une stratégie qui vise à discréditer. Peu importe si c’est vrai, l’important est que les gens le croient. »
Dans un tel contexte où les manipulations ou fausses informations peuvent émaner de toutes parts, la récente loi relative à la manipulation de l’information en période électorale, promulguée le 22 décembre, vivra son premier test. Celle-ci doit permettre à un candidat ou parti de saisir le juge des référés pour faire cesser la diffusion de « fausses informations » durant les trois mois précédant un scrutin national. « Nous avons prévu une organisation robuste », reconnaît dans le JDD le président du TGI de Paris, Jean-Michel Hayat, qui s’attend donc à une avalanche de procédures.