Belgique – Marie-Chantal Uwitonze : «La diaspora est riche en talents»
Il y a en Europe une importante diaspora d’origine africaine qui est très mal connue. Par ignorance, nombreux sont ceux qui confondent les réfugiés fuyant la guerre, les migrants économiques, les personnes venues faire leurs études en Europe et les personnes venues de l’étranger travaillant comme experts dans des entreprises et organisations internationales dans leur pays d’accueil » , explique Marie-Chantal Uwitonze.
Belge d’origine rwandaise, elle appartient clairement à cette dernière catégorie : elle est directrice d’un cabinet de conseil spécialisé dans les relations entre l’Union européenne et les pays ACP (Afrique-Caraïbes-Pacifique) et elle a fondé et dirige l’ADNE (African Diaspora Network Europe). Ce réseau regroupe une quarantaine d’associations de membres de la diaspora de différents pays européens -France, Royaume-Uni, Belgique, Pays-Bas, Autriche, Italie et Malte- mais aussi des membres individuels.
Quel est le but de ce réseau ?
J’ai lancé l’ADNE en 2015 pour mettre en avant les compétences de ces membres de la diaspora. Pour mieux faire entendre leur voix et soutenir leurs initiatives : beaucoup veulent lancer des projets de développement durable dans leur pays d’origine. Le réseau doit permettre de nouer plus facilement des partenariats privés-publics. Vous le savez peut-être, l’argent que la diaspora envoie aux familles restées au pays représente un montant plus important que celui de l’aide publique au développement. Plusieurs initiatives visent à utiliser cet argent non pas pour payer les dépenses courantes mais pour développer des projets communautaires, comme une mutuelle de santé dans un village. D’autres ont mis au point des systèmes qui permettent, via les paiements par téléphone mobile, de s’assurer que l’argent versé servira bien à payer les études des enfants ou les soins de santé de la famille. Ces experts d’origine étrangère peuvent aussi participer de façon constructive au dialogue et à l’élaboration de politiques en Europe, car ils connaissent bien la situation et la culture de leur pays d’origine tout en maîtrisant des compétences pointues obtenues en Europe.
Un exemple ?
Lorsqu’il y a eu la crise d’Ebola en 2015, la diaspora s’est mobilisée pour aider les pays touchés. Mais parmi les mesures avancées par certains experts et reprises par des organisations telles que l’Organisation Mondiale de la Santé, il y avait par exemple comme mesure préventive l’obligation d’incinérer les corps des victimes, alors que, au Liberia, en Sierra Leone ou en Guinée, les pays touchés, c’est une pratique taboue. Cette mesure a certainement incité des familles à cacher la cause du décès d’un proche pour éviter que le corps soit brûlé. Ce manque de connaissance des coutumes a probablement compliqué la lutte contre cette maladie. C’est la même chose pour le débat démographique : la compréhension des cultures et des contextes sociaux est très importante pour adopter des meilleures politiques de développement.
Une façon aussi de lutter contre les discriminations ?
Un jour, dans le métro et j’avais mon sac Vuitton. Une dame m’a jeté au visage : « C’est avec notre argent que vous avez acheté ce sac de marque si cher ! » Dans sa tête, il était évident que, comme beaucoup le pensent, je vivais aux crochets de la société belge ! Il est urgent de valoriser le potentiel des personnes d’origine africaine et étrangère. Et c’est encore plus compliqué pour les femmes d’origine africaine ! Nous avons une double barrière à franchir. Il y a un combat féministe à mener en plus de celui contre le racisme.
Quels outils utilisez-vous ?
Nous sommes en train de créer une base de données reprenant les différentes compétences des membres de la diaspora, qui peut être utilisée par les institutions européennes ou internationales, et par les pays africains. Vous avez besoin d’un expert en nouvelles technologies qui connaisse aussi les réalités africaines ? Nous l’avons ! Des compétences qui permettent de trouver un emploi, en Europe ou en Afrique, et qui sont précieuses pour aider les pays du sud à sauter les étapes technologiques. Dans des pays où les gens n’ont jamais eu de téléphone fixe ou de compte en banque, ces experts ont développé un module, très utilisé de paiement par smartphone qui n’existe pas encore en Europe. Au Rwanda, un système de livraison de soins médicaux urgents par drone a été mis au point pour les régions difficilement accessibles. Et pour lutter aussi contre le sexisme, nous avons lancé un programme : She solidarity, qui permet de parler des problèmes des femmes d’origine étrangère avec les femmes décideurs politiques. Le plaidoyer est en effet au centre de nos activités : en 2015, dans le cadre des Objectifs du Développement durable, nous avons plaidé auprès des acteurs internationaux pour que soit reconnue l’importance de la culture dans le développement. Nous sommes membres du Policy Forum on Development où nous militons pour une meilleure implication des diasporas dans la conception et la mise en œuvre des politiques de développement.
Quels sont les exemples qui vous ont inspirée ?
Quand j’étais étudiante, j’ai été lauréate du « Black history month Contest », une initiative américaine qui lutte contre les discriminations, organisée durant le mois dédié à la célébration des réalisations des Afro-Américains et la reconnaissance du rôle central des Noirs dans l’histoire des USA. Durant ce mois de mobilisation, des personnalités comme Martin Luther King, Rosa Parks, Oprah Winfrey sont mises en avant, pour renforcer l’interculturalité. La « global diaspora week », qui débutera le 5 octobre au Parlement européen, est donc d’inspiration américaine. Cette semaine vise à souligner comment la diversité participe à la réussite de nos deux continents. Le prix de l’Entreprenariat de la diaspora africaine sera remis pour couronner des solutions innovantes pour le développement en Afrique.
Pour en savoir plus : globaldiasporaweek.eu/