Réconciliation entre l’Érythrée et l’Éthiopie, à qui profite la paix ?
En signant le 9 juillet à Asmara une déclaration de réconciliation, l’Éthiopie et l’Érythrée ont ouvert de nouvelles perspectives qui profitent à toute la région et libèrent son potentiel économique.
Le 4 août, la compagnie aérienne Eritrean Airlines a effectué son premier vol commercial à destination de l’Éthiopie, entre Asmara et Addis Abeba. Un vol encore inimaginable quelques semaines auparavant, première conséquence de la détente opérée depuis le 10 juillet entre les deux capitales. Les deux pays de la Corne de l’Afrique se sont livré une guerre sans merci autour d’un désaccord frontalier, faisant quelque 80 000 morts entre 1998 et 2000, et qui a débouché sur une longue période d’hostilité.
« L’époque des crises […] n’est pas soutenable »
Cette « nouvelle phase » pacifique entre les trois pays pourrait profiter à de nombreux acteurs. D’abord aux habitants de la Corne eux-mêmes : « Pour l’heure, le processus de paix n’est pas encore assez avancé pour se risquer à toute conjecture, estime Roland Marchal, membre du Ceri de Sciences Po et spécialiste de la Corne de l’Afrique. Mais on peut toutefois envisager un scénario optimiste, dans lequel l’Éthiopie et l’Érythrée opèreraient chacun un désengagement militaire. Les citoyens érythréens ne seraient alors plus obligés d’effectuer un service militaire à durée indéterminée. »
L’Éthiopie retrouve la mer, Issayas retrouve une légitimité
Côté éthiopien, la réconciliation apporte aussi des avantages. Enclavée entre le Soudan, la Somalie, Djibouti et l’Érythrée, l’Éthiopie est privée d’accès à la mer. Or la majorité de ses activités d’import-export avec le Moyen-Orient et l’Asie du Sud-Est passe actuellement par Djibouti, créant une situation de dépendance avec la petite République africaine. Une bonne entente entre voisins permettrait donc à Addis-Abeba de jouir à nouveau d’une ouverture sur la mer Rouge et de profiter des ports d’Assab et Massawa, comme elle en disposait avant l’indépendance d’Asmara en 1993.
Côté érythréen, la fin de la guerre donne raison au président Issayas Afewerki qui n’a eu de cesse, depuis son accession au pouvoir en 1993, de prouver que la région contestée de Badme à l’origine du conflit revenait de droit à l’Érythrée. « Une sortie de conflit offre à Issayas l’opportunité de sortir par la grande porte et peut-être même de revenir sur la scène internationale », observe Roland Marchal.
La paix est également salutaire pour l’économie moribonde de l’Érythrée. L’Éthiopie, deuxième pays le plus peuplé d’Afrique, doté de la croissance la plus dynamique du continent, représente potentiellement un marché substantiel pour l’Érythrée, dont 80 % de la population vit encore d’une agriculture de subsistance, selon la Banque mondiale.
Asmara espère également que sa bonne volonté sera récompensée par une levée des sanctions du Conseil de sécurité de l’ONU, adoptées en 2009 en raison notamment de son soutien présumé aux islamistes somaliens shebab. En juillet, l’Éthiopie et la Somalie ont demandé en ce sens aux Nations unies de lever ses sanctions. Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a laissé entendre de son côté que ces mesures prises contre le régime pourraient n’être plus justifiées.
La détente, une bonne nouvelle pour les pays du Golfe et Washington
Les bénéfices de l’apaisement des tensions entre Éthiopie et Érythrée dépassent largement les frontières des deux États africains. Les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite, dont l’influence dans le processus de paix n’est pas à négliger, ont tout à gagner à voir la région se pacifier. « En réinsérant l’Érythrée dans le jeu international, Émiratis et Saoudiens ont plus de chance de contrôler le comportement erratique d’Issayas Afewerki », note le chercheur français Roland Marchal.
L’Érythrée constitue par ailleurs une base arrière stratégique pour les Émirats arabes unis engagés contre les rebelles houthis dans la guerre au Yémen. Les Émiratis qui disposent d’une base militaire à Assab, dans nord du pays, ont donc intérêt à ce que leur base militaire soit installée sur une zone pacifiée.
Les États-Unis suivent également de près les étapes du processus de paix initié dans la Corne de l’Afrique. Si l’administration américaine sous Obama n’a jamais manifesté d’intérêt pour l’Érythrée, il semble que la présidence de Donald Trump y ait vu quelques avantages. Le sous-secrétaire d’État américain en charge de l’Afrique, Donald Yamamoto, qui s’est rendu en avril à Asmara pour la première fois depuis des années, n’a pas caché son intention de voir les relations diplomatiques avec l’Érythrée se normaliser. Il faut dire que la militarisation grandissante de la région, avec notamment la base militaire chinoise à Djibouti, oblige Washington à surveiller de près la zone.
Au milieu de l’enthousiasme des grandes puissances pour la réconciliation, seul Djibouti ne cache pas ses réticences. L’ambassadeur djiboutien à Mogadiscio, Aden Hassan Beleloo, a même vertement tancé la Somalie après qu’elle a demandé la levée des sanctions auprès de l’ONU imposées contre l’Érythrée. La paix risque en effet de pénaliser l’économie djiboutienne car son port demeure actuellement la seule alternative d’Addis Adeba pour commercer vers la mer.
Une paix fragile
La paix souhaitée par (presque) tous reste néanmoins fragile. « Dans ce contexte tendu, le moindre grain de sable peut mettre à mal tout le processus engagé, prévient Roland Marchal. D’abord parce que le nouveau Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed, arrivé au pouvoir en avril, qui a amorcé le rapprochement entre l’Éthiopie et l’Érythrée, est contesté au sein même de son pays.
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Le processus suscite également beaucoup d’incertitudes. À commencer par Issayas Afewerki, qui a imposé un régime autoritaire, justifié par la menace éthiopienne. « Un apaisement des relations avec Addis Abeba condamne inévitablement le dirigeant à faire évoluer son pouvoir et ce, dans tous les domaines. »
Si l’Érythrée et l’Éthiopie parviennent à sceller le processus de paix, gageons qu’elle inspire la région entière toujours en proie aux conflits en Somalie et au Soudan du Sud notamment.