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Côte d’Ivoire : entre Ouattara et Bédié, le torchon brûle… de nouveau

© Sia Kambou, AFP | Le président ivoirien Alassane Ouattara (à gauche) et l’ancien président Henri Konan Bédié, le 27 octobre 2015 à Abidjan.

Texte par Rémi CARLIER

L’ancien président ivoirien Henri Konan Bédié a annoncé jeudi la rupture avec son allié Alassane Ouattara. C’est une nouvelle page de la relation houleuse entre les deux hommes, intrinsèque à la construction politique du pays depuis 1990.

L’alliance politique qui a mené au pouvoir, en 2010 et 2015, le président ivoirien Alassane Ouattara, n’est plus. Le leader du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), l’ancien président Henri Konan Bédié, a annoncé jeudi 9 août qu’il « se retir(ait) du processus de mise en place d’un parti unifié ». Le divorce était certes attendu mais marque un point de rupture fort dans la tumultueuse scène politique ivoirienne, qui connaît depuis quelques mois de nombreux rebondissements.

Le 12 avril dernier, Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié (HKB) avaient pourtant signé à Yamoussoukro l’accord politique visant à fondre leur coalition politique en un parti unifié, le Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP). Les deux partis, et notamment leurs leaders, étaient déjà en froid. En cause notamment, la condition posée par HKB à propos du candidat que ce parti unifié pourrait présenter à la présidentielle de 2020. Il devait être un membre de son parti, qui a soutenu et appuyé Alassane Ouattara aux élections de 2010 et 2015. « Compte-tenu de ce que [le PDCI] a par deux fois soutenu le candidat du RDR [le parti d’Alassane Ouattara] pour en faire le candidat unique du RHDP, nous souhaitons un soutien de leur part », avait déclaré HKB lors de la signature de l’accord.

 Mais Alassane Ouattara a fait la sourde oreille, préférant évoquer un transfert du pouvoir en 2020 « à une nouvelle génération », membre du RHDP mais sans parti d’origine prédéfini. Une phrase de trop pour son désormais ex-allié, dont le parti a justifié des « violations et des irrégularités » dans la création officielle du RHDP, le 16 juillet, pour « se retirer du processus de mise en place d’un parti unifié ».

La défection du « Sphinx de Daoukro », 84 ans, marque une nouvelle page dans sa relation très mouvementée avec Alassane Ouattara, 76 ans, qui débute à l’époque du premier président du pays, Félix Houphouët-Boigny.

L’ivoirité, un concept xénophobe qui empoisonne le pays

En 1990, l’économiste Alassane Ouattara est nommé Premier ministre par Houphouët-Boigny pour résoudre la crise financière d’ampleur qui secoue le pays. Il fait alors son entrée en politique et rencontre Henri Konan Bédié, président de l’Assemblée nationale depuis dix ans. Étant donné la santé déclinante du « Vieux » chef d‘État, le Premier ministre assure l’essentiel du pouvoir. Le 7 décembre 1993, Félix Houphouët-Boigny, qui a permis de maintenir l’unité de son pays depuis l’indépendance, rend son dernier soupir. Les rivalités entre son protégé, Henri Konan Bédié, et le dauphin Ouattara ne font que commencer.

En accord avec la Constitution, HKB assure l’intérim du pouvoir et évince celui qui deviendra son rival. En 1994, Ouattara devient directeur général adjoint du FMI, à Washington, mais garde un œil sur son pays. Bédié, qui n’a ni la carrure ni l’expérience politique de son défunt aîné, craint son adversaire, plébiscité par les bailleurs de fonds et le nord du pays dont il est originaire. Il met donc rapidement en place un concept qui contribuera fortement aux troubles meurtriers connus par la Côte d’Ivoire dans les années 2000 : l’ivoirité. Définissant les caractères nationaux d’un pays aux 64 ethnies et rejetant les nombreux « étrangers » y résidant, il se transforme vite en théorème xénophobe auquel adhèrent de nombreux Ivoiriens. Il vise principalement, sans le citer nommément, Alassane Ouattara, dont le père serait burkinabè et ne serait donc pas un « vrai » Ivoirien.

Henri Konan Bédié (à gauche) et Alassane Ouattara, à Abidjan le 14 janvier 1993. © Issouf Sanogo, AFP

« Entre les deux hommes, les relations n’étaient vraiment pas bonnes, surtout de la part de Bédié, qui était celui qui attaquait le plus », se rappelle Christian Bouquet, géographe à l’université de Bordeaux et spécialiste de la Côte d’Ivoire. Le code électoral est modifié et interdit à tout « non-Ivoirien » de se présenter à la présidentielle. « De toute façon, il était burkinabè par son père et il possédait toujours la nationalité du Burkina Faso, il n’avait donc pas à se mêler de nos affaires de succession », écrit HKB dans une autobiographie publiée en 1999.

Le tournant du coup d’État de 1999

En 1995, pour protester contre la réforme du code électoral, Alassane Ouattara s’allie opportunément avec l’opposant historique d’Houphouët-Boigny puis de HKB, le socialiste Laurent Gbagbo, président du Front patriotique ivoirien (FPI), et boycotte avec lui l’élection présidentielle. Sans adversaire de poids, HKB est élu en octobre avec 96,44 % des voix. Il charge alors un collectif d’universitaires de théoriser le concept d’ivoirité, qui finira par être inscrit dans la nouvelle Constitution de juillet 2000. Elle prévoit que le président de la République « doit être ivoirien d’origine, né de père et de mère eux-mêmes ivoiriens d’origine ».

Le coup d’État de 1999 évince HKB, contraint à l’exil, mais le mal est fait. Laurent Gbagbo, élu président en 2000, reprend les théories xénophobes contre les habitants du Nord, les « étrangers », et son ancien allié devenu ennemi juré, Alassane Ouattara. Il l’accuse d’être à l’origine du coup d’État, ce que l’économiste réfute encore aujourd’hui. « Avec Gbagbo, on a oublié que Bédié était à l’origine du concept d’ivoirité », explique Christian Bouquet. Bédié hors-jeu, le combat politique se recentre sur la rivalité Ouattara-Gbagbo, qui alimentera les 10 années de crise politico-militaire.

En septembre 2002, une tentative de coup d’état ratée entraîne des combats entre rebelles prétendument venus du Nord et forces gouvernementales à Abidjan, alors que Laurent Gbagbo est à l’étranger. Le domicile de Ouattara est attaqué et il parvient à se réfugier dans l’ambassade allemande voisine, tandis que HKB, revenu à Abidjan, se met à l’abri à l’ambassade du Canada. Les responsabilités des attaques restent floues, encore aujourd’hui, mais le pays est vite divisé en deux, entre forces gouvernementales et rebelles « du Nord ». En avril 2005, l’accord de Pretoria visant à mettre fin aux combats est signé : il autorise Alassane Ouattara à se présenter à l’élection de 2006.

Un mois plus tard, mettant de côté les querelles qui l’opposent à HKB au vu de la crise dramatique dans laquelle le pays s’enfonce, il fonde avec son ancien rival, à la surprise générale, le mouvement RHDP, pour faire front commun face à Laurent Gbagbo aux élections de 2006, repoussées à 2010 par manque de stabilité. En octobre 2010, après le premier tour de l’élection, Henri Konan Bédié apporte son soutien à Ouattara, arrivé deuxième derrière Laurent Gbagbo, avec 32 % des voix. La stratégie portera ses fruits : Ouattara est élu, malgré une crise post-électorale meurtrière qui rapprochera les deux hommes. Unis par un ennemi commun, ils vont jusqu’à « nouer des liens affectifs », selon Christian Bouquet.

Après 2015, les animosités se réveillent

HKB reste alors dans l’ombre du pouvoir, tout en gardant les rênes du prestigieux PDCI qui ne perd pas en puissance et obtient 77 sièges sur 255 aux législatives de 2011. En septembre 2014, il prononce le fameux « appel de Daoukro » pour soutenir Ouattara dès le premier tour de l’élection de 2015. Quelques mois plus tard, sans adversaire de poids (Laurent Gbagbo est emprisonné à La Haie depuis 2011), Ouattara est réélu sans problème avec 83,66 % des voix.

La paix étant revenue et le processus de réconciliation nationale bien entamé, HKB estime alors que son tour, ou du moins celui de son parti, est venu. Les tensions entre les deux hommes, mises de côté pendant dix ans, réapparaissent. Mais l’éclatement de l’alliance, jeudi, n’est pas forcément un bon calcul pour le Sphinx de Daoukro, à deux mois des élections municipales et régionales et après l’amnistie surprise de Simone Gbagbo décrétée par Ouattara. « Le PDCI a peut être mal joué en quittant le navire avant les élections locales. Si la libération de Simone Gbagbo donne un vrai coup de boost au FPI, et qu’il va aux élections municipales, le coup de poker du PDCI pourrait être perdant », estime Christian Bouquet. Selon lui, les élections locales, à un seul tour, permettront d’estimer l’ampleur du divorce sur l’échiquier politique, alors que de nombreux membres du PDCI ont déjà fait défection pour rejoindre des listes indépendantes ou pour rallier Ouattara.

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