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Face à la cybercriminalité, l’Afrique de l’Ouest s’organise sous la pression et avec l’aide de la France

En Côte d’Ivoire comme au Bénin, les cybercriminels prospèrent grâce à des escroqueries qui font des victimes jusqu’en France. Face à l’ampleur du phénomène, des États africains s’outillent juridiquement pour mieux les combattre.

Nous sommes en 2015. Hélène*, une femme d’une quarantaine d’années dépose plainte en France auprès de l’Office centrale de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication (OCLTIC). Elle vient de se faire délester de plus de 9 000 euros sur plusieurs mois par un prétendu marchand d’art italien dont elle s’est amourachée via un site de rencontres. L’homme lui demande régulièrement de le « dépanner » financièrement, raconte François-Xavier Masson, patron de l’OCLTIC. « Les raisons varient : il est hospitalisé ou il a un problème de droit de douane, ce genre de choses », explique-t-il.

Les équipes de l’OCLTIC démarrent une enquête qui va les conduire jusqu’en Côte d’Ivoire. Sur place, ils découvrent un réseau bien structuré dont ont été victimes 26 autres Françaises. Montant du préjudice pour celles-ci : 88 000 euros.

Cinq personnes – quatre Ivoiriens et un Malien- sont interpellées en France. Lors d’une perquisition, les enquêteurs saisissent 1 300 cartes prépayées, des téléphones, des passeports, des cartes vitales volées, 150 cartes SIM et la trace de 250 000 euros d’achat en bitcoins. Dans cette affaire, bouclée récemment, la coopération avec la Côte d’Ivoire a été « exemplaire », se félicite Catherine Chambon, qui dirige la sous-direction de la lutte contre la cybercriminalité.

L’arnaque à la romance ou  » scam romance » est un classique des escroqueries en ligne très prisé par les cyber-délinquants en Afrique. Selon Interpol, l’objectif est d’ouvrir de faux comptes dans le but de séduire virtuellement les personnes cherchant l’âme sœur sur les sites de rencontre.

Ce type d’escroquerie s’assimile à un abus de confiance qui dure généralement des semaines voire des mois. Le cybercriminel passe ainsi beaucoup de temps à construire une relation en ligne avec la cible qui vit souvent en France. Une fois que la confiance est acquise, il lui demande de l’argent sous des prétextes variés.

« Les escrocs sont très malins. Ils ont cette capacité à toucher la fragilité existentielle et psychologique des gens et à les retourner. Il y a des équipes entières qui travaillent derrière avec une capacité quasiment industrielle”, affirme Catherine Chambon, commissaire divisionnaire dont la mission est de démanteler les réseaux tentaculaires de cybercriminels entre la France et le reste du monde, en particulier l’Afrique.

Le cas d’Hélène est emblématique des centaines de milliers de plaintes que recueille chaque année la Plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements (Pharos) de la Police nationale française. « Les  ‘scam romance’ mènent systématiquement en Afrique. En 2017, nous étions à près de 200 000 plaintes contre 180 000 en 2016. 50 % des plaintes étaient liées à des escroqueries en ligne et une bonne partie venait de pays comme la Côte d’Ivoire ou le Bénin », affirme Catherine Chambon.

Pour arnaquer en ligne, les délinquants ne donnent pas que dans la romance. Début avril, un couple d’origine béninoise, a été arrêté à Sarrebourg, dans l’est de la France, pour escroquerie à l’emploi. Les malfaiteurs se faisaient passer pour des employeurs cherchant à embaucher et démarchaient des demandeurs d’emplois avant de vider leur compte en banque. Parallèlement, des seconds couteaux installés au Bénin se créaient de faux comptes pour envoyer des offres par mail à des chômeurs de la région mosellane. Une nouvelle forme d’escroquerie bien identifiée par Pôle-Emploi qui a publié une note de sensibilisation sur son site Internet. L’institution a d’ailleurs saisi les autorités béninoises.

Des adresses IP blacklistées

Ces dernières années, la cybercriminalité a pris des proportions inquiétantes en Afrique de l’Ouest avec “un nombre en constante augmentation des plaintes déposées auprès des agences de maintien de l’ordre” a alerté Interpol dans un rapport publié en 2017. Les réseaux, de plus en plus solides, ont des ramificationsun peu partout en Europe et en Afrique. “Les sommes d’argent vont rentrer dans un circuit de blanchiment pour pouvoir être réinvesties dans le pays source. On démonte les réseaux en France. Mais ils ont leur continuité dans leur pays d’origine”, explique la patronne de la lutte contre la cybercriminalité en France.

D’abord un peu débordés par un phénomène qui a fait son apparition en Afrique de l’Ouest peu après les années 2000 avec la démocratisation d’Internet, les pays n’ont accentué la lutte contre ce fléau que très récemment. Un sursaut motivé par l’importance des pertes financières qu’il engendre pour leur économie. “Ils ont mis du temps à évaluer l’impact négatif que le fléau pouvait avoir, les victimes étant à l’étranger’’ explique un spécialiste en intelligence économique.

Fin mars au Bénin, l’opération coup de poing ‘’Rambo’’ dans des cybercafés a permis d’interpeller plus de 400 présumés cyber-délinquants. “Le gouvernement ne peut pas développer l’économie numérique alors que sa réputation en ligne est affectée. Des pays comme l’Inde et le Brésil ont fermement défendu leurs ressortissants d’entrer en affaire en ligne avec des Béninois”, explique Nicaise Dangnibo, directeur de l’Office béninois de la lutte contre la cybercriminalité créé en 2013.

Un phénomène venu du Nigéria

En Côte d’Ivoire, où les cybercriminels sont appelés ‘‘brouteurs’’, le préjudice financier subi par le pays a été évalué à près de 4 milliards de francs CFA (6 millions d’euros) par an sur les cinq dernières années, selon les rapports d’activités de la Plateforme de lutte contre la cybercriminalité (PLCC) créée en 2011. “Aujourd’hui les adresses IP de la Côte d’Ivoire sont mises sur listes noires, ce qui empêche des étudiants ivoiriens de s’inscrire en ligne dans certaines universités”, affirme Flavie Sandrine Gnahoré, responsable adjointe de la communication de la plateforme qui a recensé 2408 plaintes en 2017.

Il faut remonter en 2006 pour voir les premières manifestations de la cybercriminalité dans ce pays, poumon économique de Afrique de l’Ouest. “Ce sont les Nigérians qui ont introduit le phénomène en Côte-d’Ivoire et initié les jeunes Ivoiriens. C’est de là que le phénomène a pris de l’ampleur. Ce ne sont pas des gens qui ont une connaissance poussée en matière de technologie. Ils utilisent des faux comptes sur les réseaux sociaux et créent des scénarios pour appâter les gens’’, explique Mme Gnahoré.

Dans les années 2000, le phénomène des « Yahoo boys » prend de l’ampleur dans la première puissance économique africaine. Ils étaient appelés ainsi “en raison de leur usage excessif des applications Yahoo ! pour communiquer par e-mail et messagerie instantanée”, explique Interpol. Également surnommés « 419 », du nom de l’article sanctionnant ce type de fraude dans le code pénal nigérian, leur mode opératoire consistait à envoyer un courriel frauduleux dans lequel le e-délinquant affirme avoir une importante somme d’argent à transférer sur un compte. Il piège ses victimes en leur demandant de quoi couvrir des frais imaginaires de transaction.

Sévèrement punis au Nigéria, les arnaqueurs se sont repliés dans les pays voisins non sans avoir formé de jeunes locaux dans le but de constituer des réseaux criminels qu’ils chaperonnent à distance. “À cause de la porosité de nos frontières et de la proximité géographique, les Nigérians viennent le matin pour opérer et repartent chez eux le soir. Nous en avons interpellés plusieurs lors de l’opération Rambo”, confirme du côté du Bénin Nicaise Dangnibo.

Exhibition dans les clips

Le phénomène se répand à mesure que les jeunes s’émancipent de leurs mentors nigérians. En 2017, près de 40 % des personnes interpellées en Côte d’Ivoire étaient des élèves ou des étudiants et 29% des jeunes au chômage. Pour tous ces jeunes désœuvrés et sans ressource, la promesse d’argent facile est alléchante, surtout quand la société voit d’un bon œil, le « faroteur », le petit malin, popularisé par le succès du genre musical coupédécalé.

“Dans les vidéos youtube, on voyait des gens en boîte de nuit faire ce qu’on appelle le ‘travaillement’, c’est à dire offrir de l’argent sans retenue à un artiste ou un danseur. On pouvait bien se demander quelles étaient les sources de revenus de ces jeunes qui venaient se pavaner dans les clips ou sur les réseaux sociaux”, s’interroge Axel, un jeune étudiant ivoirien.

‘’Cela a certainement incité des jeunes attirés par l’argent facile à s’adonner à l’activité. S’il n’y avait pas tout ce voyeurisme sur les réseaux sociaux où les gens s’affichent dans de somptueuses villas ou devant de grosses cylindrés, je pense que le phénomène ne prendrait pas de telle proportion” estime Blaise Donou, analyste politique au Bénin. Le Commissaire 5 500, l’un des ‘’faroteurs’’ les plus connus de Côte d’Ivoire, a été condamné en 2016 pour des faits d’escroquerie en bande sur Internet.

LE COMMISSAIRE 5500, L’UN DES ‘’FAROTEURS’’ LES PLUS CONNUS DE CÔTE D’IVOIRE

Les États se sont longtemps montrés démunis face à ce phénomène. « Au début, il n’y avait pas de loi pour combattre ou réprimer. Les cybercriminels ont profité de ce vide juridique », explique un juriste ivoirien. La Côte d’Ivoire a adopté les premières lois contre lacybercriminalité afin d’encadrer les transactions électroniques et de protéger des données à caractère personnel en 2013,suite à un cas mémorable de cybercrime en bande organisée. En 2012, l’intrusion dans le système informatique d’une banque à Abidjan, a permis à un réseau de ivoirien de détourner près de deux milliards de francs CFA (3 millions d’euros). « Il a fallu trois ans pour retrouver le cerveau du réseau qui avait fui du pays. Il a été arrêté en 2015 », explique Flavie Sandrine Gnahoré.

« Une vision parcellaire »

Du côté du Bénin, un code du numérique a été voté à l’Assemblée nationale en 2017. Il punit de un à cinq ans d’emprisonnement et de 5 millions à 100 millions de francs CCFA (7 500 à 50 000 euros) d’amende les infractions liées aux technologies de l’information et de la communication. Le code n’étant pas encore promulgué par le gouvernement, les délits sont encore jugés en vertu d’une ancienne loi contre la corruption mais qui prend en compte les infractions cyber.

Mais peu d’États africains ont ratifié la Convention de Budapest sur le cybercrime (2001) qui renforce la coopération policière et judiciaire. “Nous avons bâti sur des affaires emblématiques des axes de coopération policière et judiciaire. Cela fonctionne plutôt bien. Mais le droit pénal doit évoluer de manière équivalente. L’idée, ce n’est pas que les Béninois ou les Ivoiriens soient extradés vers la France ; ce qui présente un intérêt c’est que ces États condamnent ces individus pour des infractions qui sont commises ici en France”, insiste Cathérine Chambon. Avant d’ajouter, diplomate : “Nous n’avons pour l’instant qu’une vision parcellaire du phénomène. On ne peut donc pas critiquer les États. Pour que l’outil législatif soit plus efficace, plus répressif, il faut qu’on ait une vision beaucoup plus globale du phénomène. Ce n’est pas encore le cas.”

La France accompagne cependant des pays africains sur le plan de la formation des policiers et les dote d’équipements. Au Bénin, un laboratoire financé par Paris permet de remonter à des preuves cachées au sein d’un ordinateur ou d’un portable perquisitionné. La Côte d’Ivoire dispose pour sa part d’un centre de surveillance du cyber-espace en temps réel. . “Mais nous rencontrons souvent beaucoup de blocages au niveau des fournisseurs d’accès internet qui sont incapables de nous ressortir l’identité d’un individu derrière une adresse IP. On a besoin de plus de moyens”, explique Nicaise Dangnibo de l’Office béninois de lutte contre la cybercriminalité. À Abidjan, ce sont plutôt les populations qui prennent à partie les forces de police qui veulent interpeller les cybercriminels. “Parce qu’ils sont très généreux avec leur communauté”, explique Flavie Gnahoré.

La France, via ses représentations diplomatiques en Afrique, mène des campagnes de sensibilisation qui commencent à porter leurs fruits. Aujourd’hui, les cybercriminels africains font davantage de victimes parmi leurs compatriotes qu’à l’étranger. En 2017, en Côte d’Ivoire comme au Bénin, 90 % des victimes étaient des nationaux. Peut-être de quoi accélérer un peu le rythme de la lutte en Afrique.

* Le prénom a été changé

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