Dans les paroles de Jaha Dukureh : « Nous sommes arrivés à un tournant décisif dans le mouvement de lutte contre les mutilations génitales féminines »
Jaha Dukureh, ambassadrice de bonne volonté régionale d’ONU Femmes pour l’Afrique, est une militante au franc-parler qui dirige le mouvement visant à éliminer les mutilations génitales féminines (MGF) et les mariages d’enfants. Les mutilations génitales féminines sont une pratique culturelle qui consiste à exciser certaines parties génitales féminines, condamnant les filles et les femmes à en subir les séquelles médicales pour le reste de leur vie. Dans de nombreuses régions du monde, cette pratique est également un prélude au mariage d’enfant. Mme Dukureh a protesté pour la première fois contre le mariage d’enfant lorsqu’elle avait à peine dix ans, alors qu’elle était parvenue à se glisser dans une station de télévision locale pour dénoncer les mariages auxquels les filles de sa communauté sont forcées de se soumettre. Lorsqu’on lui demande quel est son plus grand accomplissement, elle répond qu’elle ne l’a pas encore réalisé – ce sera le jour où elle parviendra à réduire considérablement le nombre de filles et de femmes qui subissent des mutilations génitales féminines.
Mon histoire a démarré quand j’avais une semaine, c’est à ce moment-là que j’ai été soumise à la pratique des mutilations génitales féminines. Je n’ai aucun souvenir de la procédure, et je n’en avais pas conscience jusqu’à l’âge de 15 ans, quand on m’a forcée à me marier.
Je me suis rendue à New York le jour de Noël, quand j’avais 15 ans, pour me marier avec un homme que je n’avais jamais rencontré. Je pense qu’un mariage précoce est ce qu’il y a de plus difficile à endurer pour une fille dans sa vie. Quand on force une fille à se marier, on donne à un homme le droit de la violer au quotidien.
J’ai réussi à quitter mon mari au bout de deux mois, et je suis allée vivre chez mon oncle et ma tante dans le quartier du Bronx. Je voulais retourner à l’école. Mais dans ma tradition, je n’étais plus considérée comme une fille, car j’étais mariée, et je n’arrivais pas à convaincre ma tante de m’inscrire à l’école. Je suis allée voir toutes les écoles que je connaissais dans le Bronx, pour leur demander de m’inscrire. Mais ce n’était pas possible d’inscrire un enfant sans tuteur légal. Finalement, une école a accepté de me prendre… J’ai travaillé plus dur que jamais auparavant, et j’ai décroché un diplôme.
Après avoir terminé mes études secondaires, je me suis installée à Atlanta, et je me suis remariée. Ce n’est que lorsque j’étais enceinte de ma fille que j’ai commencé à dénoncer la pratique des mutilations génitales féminines. Je voulais que ma fille n’ait jamais à subir la même chose que moi. Je savais également qu’il y avait des millions d’autres filles, comme moi et ma fille, sans personne pour les défendre. Si ce n’était pas moi, alors qui le ferait ?
J’ai commencé à en parler… J’ai démarré par un blog, dans lequel je faisais part de ma propre expérience. Peu après, j’ai créé un groupe de soutien pour d’autres femmes, chez moi à Atlanta. En 2014, j’avais enregistré mon organisation et démarré ma pétition sur change.org, demandant au Président Obama de faire mener une enquête sur la prévalence des mutilations génitales féminines aux États-Unis. Par la suite en 2016, l’Institut des États-Unis pour la Paix a organisé le tout premier Sommet pour mettre fin aux mutilations génitales féminines.
Je pense que de nombreuses idées fausses persistent encore aujourd’hui au sujet des mutilations génitales féminines, par exemple, qu’elles sont pratiquées par des Africains ignorants et des personnes en Afrique qui ne sont pas éduquées ni civilisées. La pratique des mutilations génitales féminines existe en Afrique, mais aussi au Moyen-Orient, en Asie du Sud-Est, et même dans des pays comme la Colombie, les États-Unis et le Royaume-Uni ! Les mutilations génitales féminines n’ont rien à voir avec la religion. Il ne s’agit pas non plus d’une question de classe sociale ou du niveau d’éducation. J’ai vu certaines des personnes les plus éduquées pratiquer des mutilations génitales féminines parce qu’elles pensent que cela fait partie de leur culture.
En réalité, le plus gros défi à surmonter est l’idée selon laquelle les mutilations génitales féminines sont une pratique religieuse. C’est difficile de changer un concept que les gens assimilent à une obligation religieuse qui leur incombe. Il faut que les dirigeants religieux fassent preuve de courage et qu’ils affirment clairement que les mutilations génitales féminines n’ont rien à voir avec la religion. En Gambie, nous avons organisé la première formation à l’intention des dirigeants religieux en 2015. Avant la formation, je me souviens combien les participants étaient divisés… de nombreux dirigeants religieux venus de Gambie, du Sénégal et de Mauritanie étaient favorables aux mutilations génitales féminines. À la fin de la formation, ils ont émis une fatwa contre les mutilations génitales féminines.
Nous devons également fournir des ressources directement aux communautés pour accomplir ce travail, éliminer les intermédiaires et savoir que les femmes et leurs communautés sont plus que capables de proposer des solutions qui contribueront réellement à éradiquer les mutilations génitales féminines. Nous ne pouvons pas apporter des solutions dans les communautés et espérer un changement. Chaque communauté est différente ! Les raisons pour lesquelles elles pratiquent les mutilations génitales féminines sont différentes !
Aujourd’hui, nous sommes arrivés à un tournant décisif dans le mouvement de lutte contre les mutilations génitales féminines. Non seulement les victimes sont les premières à s’engager dans la lutte contre les mutilations génitales féminines, mais la volonté politique est aussi présente dans l’ensemble de l’Afrique et les organismes des Nations Unies déploient plus d’efforts que jamais auparavant dans ce domaine. Du fait que nous avons créé un mouvement où ce sont les femmes qui dirigent le changement, je pense que nous avons de bonnes chances, et nous avons hâte de voir les résultats que nous aurons atteints en 2030 ».
Ismaila Diallo