Le Maroc dans la Cédéao, une aubaine pour s’imposer dans la région
La Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest a donné dimanche son accord de principe à la demande d’adhésion du Maroc. Sauf grosse surprise, c’est à présent une affaire de mois avant que le royaume n’intègre l’organisation.
Après l’Union africaine, la Cédéao. Quatre mois après avoir retrouvé sa place au sein de la plus importante organisation panafricaine, le Maroc vient de se voir accorder un accord de principe pour intégrer la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), dont il n’est pour l’instant qu’observateur. « La séquence politique (de l’adhésion du Maroc) vient de s’achever. Elle ouvre la voie à une séquence juridique qui doit rendre cette adhésion effective. Viendra ensuite une séquence technique, où il faudra négocier secteur par secteur », a expliqué à l’AFP une source diplomatique marocaine haut placée, à l’issue du 51e sommet de la Cédéao, à Monrovia (Liberia).
Mais le principal est fait. La demande d’adhésion, le 24 février, avait déjà été accueillie favorablement par les principaux partenaires économiques du royaume chérifien dans la région, tels que le Nigeria, la Côte d’Ivoire et le Sénégal. « Si le Maroc est admis au sein de la Cédéao, cela ne pourra que donner un poids économique plus important à la zone », déclarait en avril Adama Koné, le ministre ivoirien des Finances. Le ministre sénégalais chargé du Budget, Birima Mangara, y voit pour sa part « une aubaine pour les deux parties ».
20e économie mondiale
Avec son PIB global de 700 milliards de dollars et ses 300 millions d’habitants (en 2010), la Cédéao, qui regroupe 15 pays, représente la 20e économie mondiale. En l’intégrant, le Maroc bénéficiera de facilités d’exportations et pourra asseoir encore davantage sa montée en puissance sur le continent. Il renforcera par ailleurs considérablement l’organisation, en y apportant ses 100 milliards de dollars de PIB, de quoi dépasser la Turquie (730 milliards de dollars de PIB).
Visant à favoriser la coopération et l’intégration économique dans la sous-région, et jouant un rôle de maintien de la stabilité régionale, l’organisation est dans le viseur du roi Mohamed VI depuis plusieurs années, dans le cadre de sa fameuse politique de « coopération Sud-Sud ». Déjà, les accords économiques du Royaume dans la région, où il est le premier investisseur africain, se comptent par centaines, à l’image de la réhabilitation de la lagune de Cocody, à Abidjan, ou le projet de gazoduc Maroc-Nigeria.
Pour Gilles Yabi, analyste politique basé à Dakar et fondateur du think tank ouest-africain Wathi, il faut voir dans cette adhésion « la possibilité [pour le Maroc] de peser, sur le plan diplomatique et politique, sur l’orientation de cette région. En l’intégrant, on intègre un État fort dans une communauté où la plupart des États sont encore petits et fragiles sur le plan économique ». Le Maroc deviendrait ainsi, avec le Nigeria, la plus importante puissance de la Cédéao, dépassant la Côte d’Ivoire et le Ghana, « ce qui lui donnera une capacité d’agir de l’intérieur, pour orienter sa stratégie en fonction des intérêts de la communauté, comme on peut l’espérer, mais aussi , bien sûr, en fonction de ses propres intérêts », poursuit Gilles Yabi.
« Un espace fiable de libre circulation »
« Auparavant la diplomatie était au service de la consolidation des relations politiques. Aujourd’hui, c’est la dimension économique qui prime et constitue l’un des fondamentaux des relations diplomatiques », affirmait ainsi Mohamed VI lors du premier forum maroco-ivoirien à Abidjan, le 25 février 2014. Ce dernier s’est rendu 23 fois dans onze pays de la Cédéao ces dernières années. Le 31 janvier 2017, il a réaffirmé devant l’Union africaine « que la Cédéao offre un espace fiable de libre circulation des personnes, des biens et des capitaux ». Il se désolidarisait alors une nouvelle fois de l’Union du Maghreb arabe (UMA), censée mener à bien une politique commune avec l’Algérie, la Libye, la Tunisie et la Mauritanie, mais complètement inactive et paralysée depuis sa création par les contentieux algéro-marocain.
Présentant le Maghreb comme « la région la moins intégrée du continent africain, sinon de toute la planète », Mohamed VI lorgne avec envie sur les échanges commerciaux intra-régionaux de la Cédéao, s’élevant à un peu plus de 10 % du total des échanges de la région (contre moins de 3 % entre les pays du Maghreb).
Intégration controversée
Selon Gilles Yabi, si le retour du Maroc au sein de l’Union africaine était logique est justifié, l’intégration de la Cédéao est beaucoup plus « délicate et controversée ». « L’entrée d’un pays change beaucoup de choses sur le plan institutionnel. Il y avait la possibilité très sage de lui donner un statut de partenaire stratégique. Du recul et un apprentissage auraient été préférables, pour permettre une adhésion sur quelques années et non sur quelques mois. »
Car si le Maroc, État structuré à la vision stratégique bien rodée, a tout à gagner en intégrant l’organisation ouest-africaine, il est moins sûr qu’une adhésion au bout du compte décidée à huis-clos par les chefs d’État de 15 pays plus fragiles apporte les retombées économiques attendues par les plus de 300 millions d’habitants de la région.