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Aperçu sur l’actuelle classe dominante en Afrique

De gauche à droite : Phillips Oduoza (United Bank for Africa), Akon, Ayo Shonaiya et Tony Elumelu (PDG de Heirs Holdings et Transcorp) (CC – Wikimedia)

Malgré le recul de la croissance de son PIB moyen ces toutes dernières années (3,4% et 2,2% en 2015 et 2016 – à cause, entre autres, de la chute, à partir de 2014, des cours des matières premières, du pétrole, dont dépendent plusieurs économies encore monoproductrices) par rapport à ce qu’il était pendant les premières années de la décennie (autour de 5%), la situation économique de l’Afrique est, en ce 21e siècle, l’objet d’un discours bien différent, voire contraire de celui qui a prévalu pendant les décennies post-coloniales du 20e siècle en général. Particulièrement au cours des décennies 1980-1990, qui peuvent être caractérisées comme celles de l’imposition des politiques d’ajustement structurel néolibéral, remède à l’endettement critique des États du Tiers-Monde, d’Afrique en l’occurrence.

Non seulement le taux de croissance moyen du PIB de cette région du monde s’est, à partir des premières années du nouveau siècle, située au dessus de la moyenne mondiale, inférieure certes au taux de croissance des économies de la Chine, de l’Inde, de Singapour, elle a même fait preuve de résilience face à la crise qui a frappé le centre traditionnel de l’économie capitaliste mondiale, auquel elle est restée très liée ou assez dépendante.

Par ailleurs, si cette croissance du PIB est principalement expliquée par les investissements directs étrangers (IDE), attirés par un assez bon retour sur investissements, ne peut être ignorée la visibilité acquise pendant la même période d’entreprises africaines considérées comme performantes, selon les critères de l’économie capitaliste. Entreprises africaines, non pas dans le sens d’entreprises installées en Afrique, de succursales d’entreprises étrangères, mais d’entreprises appartenant à ou contrôlées par des Africain•e•s, de Maurice au Maroc en passant par le Kenya et le Nigeria. Des entreprises individuelles ou familiales dont les performances, capitalistes s’entend, s’illustrent aussi par l’intérêt que leur accordent des cabinets de conseil, experts ès capitalisme, à l’instar de McKinsey, du Boston Consulting Group, que par la médiatisation de l’entrée de certain•e•s de leurs propriétaires ou actionnaires majoritaires dans les classements des plus grosses fortunes mondiales publiés par des magazines états-uniens, à l’instar de Forbes.

C’est l’un des effets, peut-on dire, de l’ajustement structurel néolibéral, de la néolibéralisation de la mondialisation. De quoi invalider le diagnostic, le pronostic sur la bourgeoisie africaine énoncés – à partir de ce qui était alors observable en Amérique dite latine – par Frantz Fanon, dès les premières années post-coloniales : « au sein de cette bourgeoisie nationale on ne trouve ni industriels, ni financiers. La bourgeoisie nationale des pays sous-développés n’est pas orientée vers la production, l’invention, la construction, le travail. Elle est tout entière canalisée vers des activités de type intermédiaire. Être dans le circuit, dans la combine, telle semble être sa vocation profonde » (Les damnés de la terre, 1961). Ce qui – s’il n’y avait pas le discours prévalent, depuis les années 1990, sur la « fin des idéologies », la « fin de l’histoire », autrement dit la victoire finale du capitalisme – aurait pu relancer le débat, des années 1950-1960, voire 1970, sur la question de l’existence ou non des classes sociales en Afrique, au sein duquel se posait aussi, pour les tenant•e•s de leur existence, celle du rôle de la bourgeoisie africaine dans le contexte post-colonial. À laquelle semble répondre l’un des capitalistes africain•e•s les plus médiatisé•e•s, le patron de Heirs Holdings et Transcorp, Tony O. Elumelu, en accolant le préfixe “afri” (identique à “afro”) – considéré positivant par le nationalisme culturel négro-africain, la « diaspora » (négro-)africaine – à capitalisme, donnant ainsi l’africapitalisme, une pratique africaine du capitalisme supposée d’une nature différente à celle dominante dans la tradition capitaliste : un « capitalisme inclusif » plutôt qu’exclusif, censer apporter « prospérité économique et richesse sociale » à l’Afrique |1|.

C’est juste un aperçu de certaines caractéristiques de cette classe dominante – caractéristiques marquées par les particularités de chaque histoire nationale, aussi dans ses rapports au reste du monde, qui ne vont pas être présentées ici –, dans ce contexte de restructuration de l’économie capitaliste mondiale, caractérisée entre autres par l’émergence de nouvelles puissances capitalistes, non européennes/non occidentales, la Chine principalement, que je vais présenter, en commençant par rappeler sommairement le débat sur les classes sociales.

L’intérêt de cet article pour le CADTM, en dehors du rôle joué par la crise de la dette et l’ajustement structurel néolibéral subséquent, peut être qu’il est impossible de réaliser l’objectif qu’il s’est fixé (contribuer à « mettre en place des alternatives qui libèrent l’humanité de toutes les formes d’oppression : sociale, patriarcale, néocoloniale, raciale… »), en ne s’intéressant pas à ou en ne prenant pas en compte cette dynamique capitaliste africaine qui est aussi structurante de la vie quotidienne de centaines de millions d’Africain•e•s, diversement opprimé•e•s, les damné•e•s de la terre d’aujourd’hui, de Port-Louis à Tunis, en passant par Lilongwe et Kinshasa, même si, encore une fois, il ne va être pas être question d’une revue de la cinquantaine de sociétés (pays) africaines, mais juste de quelques caractéristiques générales.

À propos de l’existence ou non des classes sociales en Afrique

Dans une période qui s’étend surtout des années 1950-1970, soit de la veille de l’accession massive des colonies européennes d’Afrique à l’indépendance aux deux premières décennies de la dite indépendance, intellectuel•le•s et femmes/hommes politiques africain•e•s, ainsi que des africanistes extra-africain•e•s ont opiné, discuté sur l’existence ou non des classes sociales en Afrique. En fait, du rôle que devrait jouer ou non la lutte des classes dans l’Afrique pendant la lutte pour l’indépendance, mais surtout dans l’Afrique dite post-coloniale, car à l’existence des classes sociales sont liées, inséparablement, leurs luttes.

Pour s’en tenir à quelques acteurs politiques africains, parmi les principaux protagonistes de ce débat, il y avait, grosso modo, d’un côté ceux qui comme Léopold Sédar Senghor, Jomo Kenyatta, Julius Nyerere, Kwame Nkrumah qui, partant de la connaissance qu’ils avaient des sociétés africaines précoloniales ainsi que du clivage majeur de la société coloniale, en colons et colonisé•e•s/indigènes, affirmaient que l’existence des classes sociales était une réalité des sociétés européennes, inconnue dans l’Afrique pré-coloniale, plus ou moins transposée par la structuration coloniale mais bien mineure par rapport au clivage entre oppresseurs coloniaux et opprimé•e•s/exploit•é•s indigènes. Malgré l’existence d’affinités sociales existant sous la colonisation entre le capital colonial et certaines catégories sociales de colonisé•e•s, celles-ci/ceux-ci avaient ainsi pour intérêt commun se libérer de la domination coloniale et, une fois l’indépendance acquise, construire la nation post-coloniale, dans l’intérêt de toute la population, en renouant avec les supposées traditions communautaires africaines ou valeurs traditionnelles africaines dominées pendant la période coloniale, en excluant le principe de la lutte des classes, sans toutefois faire table rase de la société construite par et héritée de la colonisation, de sa structuration sociale. Tous les décolonisés, toutes les décolonisées étaient censé•e•s avoir le même intérêt à la construction de la nation post-coloniale, malgré les différenciations sociales hiérarchiques héritées de la société coloniale : toutes les couches sociales devraient communier dans cette “union nationale”. Ce que Léopold Sédar Senghor, par exemple, a théorisé sous la dénomination de “socialisme africain”, qu’il est censé avoir pratiqué en tant que président du Sénégal. Quant à Kwame Nkrumah, l’ayant précédé comme chef d’État, du Ghana, et figure majeure du panafricanisme – panafricanisme partagé aussi par Senghor et bien d’autres, avec qui il parviendra à donner naissance à l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) – il a élaboré, sur les mêmes bases du communautarisme précolonial, adapté à l’ère post-coloniale, une « philosophie et une idéologie pour la décolonisation et le développement » dénommée « consciencisme » (Le Consciencisme, 1964) |3|. Jusque dans la deuxième édition de Le Consciencisme (1969), cette idéologie est appelée à « reconstituer la société égalitaire » précoloniale.

De l’autre côté, ceux qui, à l’instar de Frantz Fanon, engagé dans la guerre de libération nationale algérienne, Mehdi Ben Barka, tiers-mondiste marocain, Amilcar Cabral dirigeant du Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC) – qui étaient aussi des panafricanistes – soutenaient qu’il y avait, en période coloniale et post-coloniale, des classes sociales indigènes, puis nationales, aux intérêts divergents quand bien même, il ne s’agissait pas de calques des sociétés “occidentales” : inexistence générale, par exemple, de fraction indigène de la classe capitaliste pendant la colonisation, malgré l’existence parfois de quelques individus.

Par exemple, pour Fanon, en plus de sa caractérisation – inspirée, avons-nous dit, de la réalité de l’Amérique dite latine post-coloniale – de la bourgeoisie africaine post-coloniale (cf. ci-dessus) comme bourgeoisie compradore (« intermédiaire »), la classe révolutionnaire en Afrique ce n’était pas le prolétariat (urbain, relativement privilégié, certes pas autant que la petite-bourgeoisie urbaine et rurale) mais la petite paysannerie pauvre. Alors que, selon Ben Barka, il y avait alors au Maroc une grande bourgeoisie, non progressiste et liée à la « semi-féodalité », une moyenne et petite bourgeoisie hésitante par rapport à la continuation de la libération nationale, à la révolution, une petite paysannerie sans terre qui gagnerait à se rapprocher de la classe ouvrière, force révolutionnaire dans cette société |4|. Cabral, quant à lui, parlait, par exemple, de la « domination néocolonialiste […] permettant le reveil de la dynamique sociale (des conflits d’intérêt dans les couches sociales autochtones ou de la lutte des classes) », de « pseudo-bourgeoisie locale » qui « quel que soit le degré de son nationalisme », vu son inféodation à l’impérialisme « ne peut orienter librement le développement des forces productives : en un mot, elle ne peut être bourgeoisie nationale |5| ».

Toutefois, après le coup d’État militaire l’ayant renversé – exprimant une coalition d’intérêts de classe locaux (entrepreneur•e•s privé•e•s, petite bourgeoisie des officiers supérieurs de l’armée ghanéenne, dignitaires de chefferies/royaumes, etc.) liés aux intérêts impérialistes (Grande-Bretagne, États-Unis d’Amérique) –, Nkrumah s’est mis à reconsidérer son opinion sur les classes sociales et leur lutte |6|, rejoignant les Fanon, Ben Barka, Cabral, Samir Amin |7| en affirmant, par exemple, dans son ouvrage, au titre évocateur, La lutte des classes en Afrique, que « l’on a suggéré que les classes sociales existant dans d’autres parties du monde étaient inconnues en Afrique. Rien n’est plus éloigné de la vérité |8| », les sociétés africaines de son temps étant structurées en paysannerie, prolétariat, petite bourgeoisie, bourgeoisie nationale et autorité traditionnelle, avec des intérêts souvent divergents. Voire antagonistes : « L’Afrique est actuellement le théâtre d’une violente lutte des classes. Il suffit de regarder autour de nous. Comme partout ailleurs, il s’agit essentiellement d’une lutte entre oppresseurs et opprimés […] L’Afrique possède ainsi un noyau central de bourgeoisie, peu différent de celui des colonisateurs et des colons par les positions privilégiées qu’elle occupe et qui constitue une minorité égoïste, intéressée, réactionnaire au milieu des masses exploitées et opprimées |9| ». Il ne s’agissait plus de s’opposer uniquement à l’impérialisme, comme dans L’impérialisme, dernier stade du néocolonialisme – qui constitue avec Le Consciencisme et L’Afrique doit s’unir les ouvrages de référence d’un certain panafricanisme, panafricanisme sans détermination sociale/de classe –, mais aussi à la bourgeoisie locale, en développement. Autrement dit, il s’agissait de sortir de ce panafricanisme de la nostalgie d’une Afrique précoloniale mythique, fondement du projet de la conciliation des classes sociales. Forme de panafricanisme qui se donne une nouvelle jeunesse, éditorialement et sur internet, ces derniers temps.

La participation des indigènes d’Afrique à la dynamique du capital est bien antérieure à la période post-coloniale, faut-il toujours rappeler, compte tenu, par exemple, du discours mensonger, à moins que ce soit ignorant, sur le moment actuel comme étant celui de l’« intégration de l’Afrique à la mondialisation », du capital sous-entendu.

La lutte des classes en Afrique n’a pas, malheureusement, fait partie des ouvrages de Nkrumah réédités par Présence Africaine dans les années 1990-2000. Serait-ce parce qu’il est souvent ignoré par les panafricanistes, ces continuateurs/continuatrices de la tradition d’occultation de la lutte des classes entre Africain•e•s ? Parce que ça n’aurait pas été sexy ou rentable de rééditer un ouvrage dont le dernier paragraphe affirme que « L’objectif principal des révolutionnaires du Monde Noir doit être la libération et l’unification totales de l’Afrique sous un gouvernement panafricain socialiste » |10|, en précisant qu’elles doivent être articulées avec le triomphe de « la révolution socialiste internationale » qui « fera progresser le monde vers le communisme » (p. 108). Alors que déjà, à partir des années 1980, la thématique des classes sociales, de leurs luttes, subissait une marginalisation éditoriale en Europe en général, en France en l’occurrence (où est situé l’éditeur), consolidée par la destruction du Mur de Berlin et la fin de l’URSS ? Une situation dont elle a encore de la peine à sortir, compte tenu de la quasi solitude, persistante malgré tout, de l’idéologie néolibérale de la « fin de l’histoire » qui est aussi prégnante dans la lecture de l’Afrique actuelle, enrobée parfois d’un culturalisme/racialisme porté, par exemple, par l’affixe racialisé “afro”/“afri”.

Même s’il se donne à voir qu’aujourd’hui en Afrique, il existe objectivement, grosso modo, une petite paysannerie agricole indépendante ; un prolétariat, en général, plus urbain que rural agricole, vivant de la vente de sa force de travail au capital privé et d’État, aux revenus lui permettant de reproduire sa force de travail et d’accéder, en serrant la ceinture, à certains loisirs de la société de consommation, et auquel peuvent être assimilées certaines catégories d’employé•e•s aussi bien du public que du privé ; de petits vendeurs/petites vendeuses des marchés, des rues, et personnes actives dans les petits métiers ou petites activités artisanales, rangées dans le secteur dit informel, de blanchisserie, de cordonnerie, coiffure, couture, maçonnerie, menuiserie, restauration/gargote, soudure, mécanique, etc., aux conditions de vie balançant entre le lumpenprolétariat et celles du prolétariat ; une petite bourgeoisie (ou « classes moyennes ») constituée de petits propriétaires de moyens de production ou de commerces – dont une partie est aussi classée dans l’informel – utilisant principalement de la main d’œuvre familiale ou minimalement de la main d’œuvre salariée, voire apprentie, une grande partie des agents de la Fonction publique et des entreprises d’État, du personnel d’encadrement des entreprises privées, des membres de professions dites libérales (médecins privé•e•s, avocat•e•s, notaires, comptables), petit•e•s propriétaires ; une bourgeoisie capitaliste : propriétaires d’entreprises utilisant de la main d’œuvre salariée dans les entreprises (petites, moyennes, grandes) des différents secteurs, de l’exploitation pétrolière aux services, en passant par le grand commerce, le transport, la construction, l’hôtellerie, l’importation.

C’est cette classe d’ancien•ne•s et nouveaux/nouvelles riches, minoritaire dans tous les pays, qui est dominante, car l’économie, voire la société est généralement organisée en fonction de ses intérêts. Il y a dans cette classe, non seulement les représentants du capital étranger, l’occidental surtout qui demeure principal partout en Afrique, mais aussi des capitalistes autochtones |11| – les termes “africapitalisme” et son dérivé “africapitaliste” ont au moins le mérite de reconnaître l’existence de cette classe sociale – qui exercent, de façon subordonnée consentie au ou relativement concurrentielle avec le capital étranger, une influence certaine sur les dirigeant•e•s politiques (gouvernement, parlement) – dont certain•e•s peuvent être membres de cette classe sociale – donc sur l’existence de centaines de millions de personnes vivant en Afrique.


Une vieille tradition en Afrique

Cette participation des indigènes d’Afrique à la dynamique du capital est bien antérieure à la période post-coloniale, faut-il toujours rappeler, compte tenu, par exemple, du discours mensonger, à moins que ce soit ignorant, sur le moment actuel comme étant celui de l’« intégration de l’Afrique à la mondialisation », du capital sous-entendu.

Grosso modo, des négro-africain•e•s ont contribué à la longue marche du capital non seulement en tant qu’esclaves aux Amériques – à leurs dépens –, mais aussi comme entrepreneurs de la capture (depuis les terres intérieures jusqu’à la côte) d’autres Africain•e•s destiné•e•s à l’esclavage |12|. Des dignitaires des royaumes côtiers, célébrés, aujourd’hui encore, par certain•e•s nationalistes africain•e•s, en ont été des acteurs ou des superviseurs, évidemment bénéficiaires. Par la suite, avec l’interdiction de la traite au 19e siècle, certain•e•s Africain•e•s, y compris d’anciens esclaves revenus du Brésil, ont pu se constituer des fortunes en participant aux circuits clandestins de la traite. Dans certains pays du Golfe du Bénin, certaines familles de la classe dominante actuelle ont leurs ascendant•e•s parmi ces trafiquant•e•s des derniers années de la traite négrière atlantique. Tout comme, dans une autre configuration, une partie de la bourgeoisie mauricienne actuelle, de vieille ascendance française, descend des anciens maîtres d’esclaves des 18e-19e siècles dans l’Océan indien.

La période coloniale (protectorats compris) aussi, malgré des restrictions pratiques, en général, a produit des capitalistes africain•e•s |13|. Ainsi, on peut ranger parmi les capitalistes, auxquel•le•s se référaient Fanon, des commerçant•e•s nigérian•e•s à l’instar de El Hadj Alhassan Dantata (1877-1855, fondateur de la Alhassan Dantata & Son’s) |14|, un intermédiaire de la Compagnie du Niger, considéré comme l’Africain le plus riche des colonies britanniques d’Afrique occidentale – l’un de ses arrières petits-fils, Aliko Dangote, est l’homme le plus riche d’Afrique aujourd’hui, à la tête d’un groupe multinational. Tout comme le sommet des marchandes nigérianes de tissus aussi bien locaux que ceux de fabrication industrielle coloniale dits tissus/pagnes africains (java, wax) : « Les plus industrieuses de ces femmes possédaient un ou deux camions |15| » ainsi que leurs collègues du Togo : « Dans les années 1950, il existait au moins trois catégories de revendeuses. Le premier groupe comptait celles dont le chiffre d’affaires était supérieur à dix millions de Francs CFA |16| » – les dites Nana Benz –, des propriétaires terriens indigènes du Kenya (colonial). Ainsi, contrairement à certaines biographies falsifiées, les présentant comme des self-made men/women, certaines figures actuelles de cette classe dominante sont héritières des capitalistes, de familles petites-bourgeoises ou de notables de cette période-là.

Dans la période post-coloniale, antérieure à la néolibéralisation, il y a eu dans plusieurs sociétés africaines, cette politique de soutien ou de création de capitalistes autochtones, d’indigénisation par la réglementation des investissements : plafond fixés aux investisseurs étrangers dans certains secteurs économiques, exclusivité autochtone de certains secteurs économiques, y compris aux dépens des entrepreneur•e•s originaires d’autres pays africains. Que ce soit au Kenya de Jomo Kenyatta (le père d’Uhuru), au Zaïre de Mobutu, avec la zaïrianisation, l’indigénisation au Nigéria par les généraux-présidents successifs |17|. Autrement dit, une nouvelle phase, un élargissement, de l’accumulation dite primitive du capital privé local avec l’aide de l’État national, une expression de liens solides entre la classe politique et les membres autochtones de la classe socio-économiquement dominante. Dont l’une des conséquences a été qu’une partie des crédits accordés par des banques publiques à des entrepreneur•e•s, proches des gouvernants ou leur servant de prête-noms, n’avait pas été remboursée par les dits entrepreneur•e•s, contribuant ainsi, pendant les années 1980, à des déficits ou faillites bancaires. Et, à la crise de ces économies néocoloniales, dont l’une des principales manifestations a été la crise de la dette publique extérieure, ayant conduit à l’ajustement structurel néolibéral, cette solution standardisée dictée aux États surendettés d’Afrique, d’Amérique dite latine et d’Asie par les institutions financières internationales, en phase avec le Consensus (unilatéral) de Washington. Et qui s’applique actuellement, avec une évidente violence sociale, en Grèce.


La néolibéralisation de la mondialisation : production d’une nouvelle classe dominante dans les sociétés africaines

Qu’il y ait eu des capitalistes, des embryons de bourgeoisie nationale dans la plupart des sociétés africaines pendant la première période postcoloniale, est indéniable, il n’empêche néanmoins – exception faite de sociétés à vieille bourgeoisie comme la sud-africaine, l’égyptienne, la mauricienne – que ledit dynamisme de cette nouvelle classe dominante est surtout une conséquence des diktats des institutions financières internationales, de leur imposition de l’ajustement structurel néolibéral aux États africains, comme solution à leur endettement critique. Des États dont les gouvernants n’étaient pas en principe opposés à la néolibéralisation |18|. Ils la souhaitaient, par intérêt, mais sans les facteurs de la contestation sociale populaire qu’elle suscitait. Quant aux oppositions politiques, elles étaient en général attachées à la définition de la démocratie que faisait circuler la Banque mondiale et autres : démocratie = économie de marché + multipartisme + activisme de la “société civile”. Celle-ci n’étant pas considérée comme expression des intérêts divergents, alors qu’elle est aussi un espace de la lutte des classes (associations patronales et syndicats ouvriers, par exemple, participent de la société civile).

Il a fallu, en effet, privatiser des entreprises publiques stratégiques, libéraliser les marchés. Le faire davantage là où c’était relativement le cas auparavant : en Côte d’Ivoire, en Égypte, au Ghana, au Kenya, en Tunisie, au Zaïre, par exemple. Processus qui est, certes, inachevé à ce jour. Il n’y a pas que des investisseurs étrangers, les fameux “investisseurs stratégiques”, qui en ont été les bénéficiaires. On ne devrait pas, en fait, identifier la privatisation, la libéralisation, à une recolonisation |19|, car ici et là, presque partout en Afrique, des membres de la classe politique, des capitalistes déjà installé•e•s – celles/ceux de la première décennie postcoloniale – ont soit acquis des actions dans des entreprises publiques privatisées, des actions détenues par les États, soit acquis d’autres ex-entreprises publiques, soit en ont créé de nouvelles, privées. Des entrepreneur•e•s autochtones dont certain•e•s se retrouvaient en position favorable, ou étaient sûr•e•s de l’être, pendant l’octroi des marchés, par le fait de la proximité de la classe politique/des gouvernants du moment, voire passés, avec la classe sociale dominante. Un capitalisme de connivences |20|.

En Afrique du Sud, où existe depuis la fin du 19e siècle une classe capitaliste considérée comme assez dynamique, et pour les intérêts de laquelle avait été constitutionnalisé l’apartheid, il a été question de renforcer cette classe après l’apartheid, en favorisant le développement de capitalistes noir•e•s, avec le Black Economic Empowerment (discrimination positive, en faveur de la petite bourgeoisie noire en matière économique/entrepreneuriale, par exemple sous forme d’acquisition d’actions dans les secteurs économiques les plus porteurs, tel que le secteur minier) initié sous la présidence de Nelson Mandela (avec le soutien, voire inspirée, par certains éléments “éclairés” de la bourgeoisie blanche sud-africaine).

Tout cela avec un encouragement certain des institutions financières internationales, veillant à ce que la néolibéralisation (économique) suive un cours normal, devienne effective à travers le monde. La pression est exercée sur les États par, entre autres, l’accès aux financements, les rapports annuels produits par la Banque mondiale, le Doing Business classant les États en bons, moyens et mauvais élèves, en matière d’institution des conditions les plus favorables pour les affaires, les investissements, parmi lesquelles le plus d’exemptions fiscales, de bas taux d’imposition (autour de 28% en moyenne, 15% à Maurice, 13,6% au Lesotho). Aussi bien pour les capitaux autochtones que pour ceux provenant d’ailleurs, de préférence sans distinction d’origine dans le sens néolibéral de l’égalité, entre le pot de fer et le pot de terre.

Ainsi, de nos jours, cette classe dominante autochtone est active dans bon nombre de secteurs (alimentation, assurances, bâtiments et travaux publics, enseignement, finance, immobilier, médias, pharmacie, extraction des ressources naturelles – mines et hydrocarbures –, transports, téléphonie, textile, etc.). Même si « Être dans le circuit, dans la combine »demeure de mise, car il s’agit de pratiques inhérentes au capitalisme, on ne peut plus parler de cette classe qu’en termes d’ « intermédiaires » |21|. Même si aucune de ces entreprises ne fait encore partie du top 500 (mondial) des entreprises, les entreprises africaines avaient, en 2013, selon l’AFRICA CEO FORUM, « contribué à près de 23% des investissements sur le continent [8% en 2007], sont en 2e position derrière les investissements des entreprises d’Europe de l’Ouest, […] sont aussi la 2e source de création d’emplois sur le continent |22| ». Leur croissance, leurs performances sont de plus en plus célébrées dans la presse, non seulement africaine, par les cabinets se chargeant de la propagande de la croissance capitaliste néolibérale.

Chaque pays africain possède aujourd’hui – en plus des chambres de commerce et d’industrie – son/ses organisations patronales, pour la défense des intérêts de cette classe. Certes, y participent aussi des membres non autochtones de la classe, mais elles sont souvent dirigées par des autochtones, sans, toutefois, que cela signifie une prédominance du capital autochtone sur l’allochtone. Ainsi, c’est en fonction aussi des intérêts du capital autochtone, en plus de ceux, plus structurant, du capital international (non africain), que sont organisées les politiques économiques et sociales nationales. Ces membres autochtones de la classe dominante exercent une pression sur les gouvernant•e•s politiques (ministres, parlementaires – là où celles-ci/ceux-ci arrivent à ne pas faire que de l’enregistrement des projets de loi, de la figuration rentable – gouverneurs, etc.) |23| qui, d’ailleurs, font, de façon générale, de leur passage au pouvoir un moment d’accumulation primitive – les pots-de-vin reçus, le vol de l’argent public, l’auto-octroi des privilèges, des marchés à leurs entreprises ou celles de leurs prête-noms, etc. – d’acquisition d’actions |24|, voire de constitution de groupes économiques. Ce qui crée une forte complicité, des connivences, une imbrication entre dirigeant•e•s politiques et dominant•e•s économiques |25|.

D’ailleurs, de plus en plus, des membres de cette classe capitaliste se transforment en acteurs/actrices politiques. Dans les sept dernières années (2004-2011) de la présidence d’Hosni Mubarak, le gouvernement se caractérisait par, entre autres, la nomination d’entrepreneurs capitalistes avérés aux ministères très liés à leurs intérêts privés, individuels ou familiaux : au Commerce et à l’Industrie, au Tourisme, à l’Agriculture, à la Santé |26|. Certains entrepreneurs ont pu se faire élire à la tête des États, à l’instar de Marc Ravalomanana (le « Berlusconi malgache ») à Madagascar, Adama Barrow en Gambie, d’un Patrice Talon au Bénin, dont l’un des concurrents malheureux Sébastien Ajavon est un entrepreneur capitaliste au Bénin aussi bien qu’en France – rivalité politique entre capitalistes qui se manifeste aussi au Kenya entre Uhuru Kenyatta (un héritier de la dynamique entrepreneuriale capitaliste des Kenyatta depuis la présidence du père, Jomo) et Raila Odinga – dont l’élection à la présidence dette fois-ci aurait très probablement amélioré la situation de ses affaires, considérées comme moins prospères en 2017. L’État sud-africain risque d’être dirigé à partir de l’an prochain par l’une des personnes les plus riches d’Afrique du Sud, son actuel vice-président Cyril Ramaphosa. En RDC, l’homme d’affaires Moïse Katumbi est sur la liste des prétendants à la succession de Joseph Kabila, réputé s’être, avec des membres de sa famille ainsi que des collaborateurs politiques, scandaleusement enrichi, aussi en s’investissant dans l’entreprenariat.


Un capitalisme transnational africain

L’Afrique ne fait pas que recevoir des investissements directs étrangers, elle en est aussi un point de départ, même si les sorties sont inférieures aux entrées.

Certains des membres de cette classe dominante ne se contentant pas d’investir localement, sont à la tête d’entreprises présentes dans plusieurs pays africains. Ce sont, par exemple, Elsewedy Electric, le groupe Dangote présent, par ses cimenteries et autres activités, dans toutes les sous-régions d’Afrique – recours à la sous-traitance compris –, le groupe Orascom d’Osni Sawiris et ses fils, le Groupe Mansour, des banques africaines (Attijariwafa Bank, Ecobank, Nedbank, United Bank for Africa, etc.), de la société d’investissement Heirs Holdings et de Transcorp (évoquée en note sur la page précédente) du chantre de l’africapitalisme Tony Elumelu, d’Econet du Zimbabwéen Strive Masiyiwa. Une soixantaine, voire une centaine de multinationales à l’africaine, comme le dit un membre de leur sérail |27|, qui investissent aussi hors de leur pays d’origine, dans leur sous-région, ainsi que dans d’autres sous-régions. Ce que favorisent le processus d’intégration africaine, l’existence des divers regroupements sous-régionaux dont certains servent de référence aux organisations de défense des intérêts de cette classe dominante. À l’instar de la Fédération des organisations patronales de l’Afrique de l’Ouest (FOPAO) dont l’espace est la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), de l’Union des patronats d’Afrique centrale (UNIPACE) pour la Communauté Économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC). Même si, à la FOPAO on se plaignait récemment d’une certaine persistance de la « protection des marchés locaux » au sein de la CEDEAO.

Au niveau régional, les organisations patronales nationales sont regroupées dans Business Africa (ancienne Confédération patronale des employeurs, section régionale de l’Organisation Internationale des Employeurs, OIE). Cette organisation patronale panafricaine a pour mission, entre autres, d’ « améliorer la position des entreprises dans les instances continentales comme la Commission de l’Union africaine, la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA), le Bureau régional de l’OIT pour l’Afrique, la Banque africaine de développement et d’autres institutions continentales |28| ». Ce qui n’exige pas d’effort particulier vu l’adhésion, de ces institutions au néolibéralisme |29| – disons au “social-libéralisme” pour l’OIT (Organisation internationale du travail) – leur croyance au secteur privé comme “moteur du développement” de l’Afrique, aussi en “partenariat public-privé”, ce gadget des développementeurs néo-libéraux.

Ainsi, cette partie du patronat africain, celui des multinationales africaines, est très intéressée par l’intégration économique de l’Afrique sous la forme d’un marché unique, la zone de libre échange continentale (ZLEC), projet initié en 2012 par l’Union Africaine et qui devait être effectif en 2017, mais accuse un certain retard. C’est aussi pour ne pas prolonger ce retard que certaines de ces multinationales |30|, ayant apparemment le vent en poupe, ont créé le Club AfroChampions (présidé par Aliko Dangote et co-présidé par l’ancien Chef d’État sud-africain et chantre de la Renaissance africaine, Thabo Mbeki). Cette partie de la classe dominante africaine se veut, d’une certaine façon, panafricaniste, un panafricanisme clairement capitaliste : avoir un poids important sur le marché africain, voire y acquérir une position dominante. Sans toutefois s’y limiter.

En effet, en dépit du recours à une adaptation pour l’Afrique de la définition d’une multinationale, quelques entreprises africaines ont dépassé les frontières continentales, en investissant en Europe, en Amérique, en Asie, en Océanie. L’Afrique ne fait donc pas que recevoir des investissements directs étrangers, elle en est aussi un point de départ, même si les sorties sont inférieures aux entrées. Les flux d’investissements directs africains hors d’Afrique, selon les rapports annuels de la CNUCED sur l’investissement dans le monde, de 2011 à 2016, ont été en 2011 de 23 milliards dollars états-uniens contre 66 mds d’investissements directs étrangers reçus par l’Afrique ; 2012 : 34 mds contre 77 mds reçus ; 2013 : presque 38 mds contre 74 mds reçus ; 2014 : 28 mds contre 71 mds reçus ; 2015 : 18 mds contre 61 mds reçus ; 2016 : 18 mds contre 59 mds reçus.

Compte tenu des relations historiques entre les anciennes colonies et leurs métropoles coloniales/néocoloniales et de la domination symbolique maintenue de celles-ci, les relations entre capitalistes sont aujourd’hui assez établis. Business Africa parle de la « la poursuite de sa collaboration avec des groupes d’entreprises européennes et américaines » – par « américaines », il faut entendre celles des États-Unis d’Amérique et du Canada, non pas celles de l’Amérique dite latine.

S’il est souvent question, par exemple, des investissements chinois ou indiens en Afrique, on entend beaucoup moins parler des investissements africains en Chine.

Par exemple, concernant les investissements dans le sens considéré comme inhabituel (Afrique => Europe), « Entre 2007 et 2012, au cours de la pire récession de l’économie globale de l’Europe, les investissements africains [y] ont crû sept fois, atteignant les 77 milliards d’euros |31| ». Ces dernières années, ont été assez couverts médiatiquement l’acquisition des parts importantes dans de grandes entreprises du Portugal par la milliardaire angolaise Isabel Dos Santos, celle par le Media Globe Networks de la famille Sawiris de 60% des parts de la chaîne de télévision européenne Euronews ; le rachat, entre autres entreprises européennes, du numéro 2 de l’électroménager français, FagorBrandt, par le groupe Cevital du milliardaire algérien Issad Rebrab |32|. Certes, il ne s’agit pas d’un renversement de la traditionnelle domination des capitaux occidentaux (états-unien, européen) en Afrique, d’un « impérialisme à l’envers »(Charles-Albert Michalet |33|), car le stock d’investissements africains en Europe et aux États-Unis paraît loin de toute comparaison avec celui des États-Unis, du Royaume-Uni et de la France, peloton de tête en stock d’investissements en Afrique.

Par ailleurs, s’il est souvent question, par exemple, des investissements chinois ou indiens en Afrique, on entend beaucoup moins parler des investissements africains en Chine. Si à Johannesburg, en 2013, « au cours d’une table ronde organisée lors de la première réunion du Conseil d’affaires des BRICS à Johannesburg […] le chef d’entreprise africain Tony O. Elumelu, président de Heirs Holdings, a appelé les chefs d’entreprise des pays BRICS à laisser de la place aux entreprises africaines qui cherchent à étendre leurs activités en dehors du continent dans les BRICS |34| », il existe néanmoins des investissements africains dans ces puissances capitalistes émergentes. Concernant la première d’entre elles, « au fur et à mesure du développement de l’économie africaine et de la progression du marché chinois, des entreprises africaines ont investi plus activement en Chine. L’Île Maurice, l’Afrique du Sud, les Seychelles, le Nigeria et la Tunisie sont les principaux investisseurs africains en Chine. Fin 2009, les investissements directs africains en Chine accumulés représentaient 9,93 milliards de dollars, couvrant notamment les domaines de la pétrochimie, de l’outillage, de l’électronique, du transport et des télécommunications |35| ». Trois ans plus tard l’on constatait une hausse non négligeable : « en 2012, l’Afrique avait investi un total de 14,2 milliards de dollars soit une hausse de 43% par rapport à 2009 […] Rien qu’en 2012, les investissements directs africains en Chine […] se sont élevés à près de 1,4 milliard de dollars |36| ». En 2015, ils représentaient la moitié des investissements chinois en Afrique, 15 milliards contre 30 – les investissements directs chinois en Afrique ne sont pas à confondre avec les chiffres des relations commerciales afro-chinoises, des prêts chinois |37| et des services chinois en Afrique comme la construction des infrastructures. En Inde, il a été question d’investissements africains de l’ordre de « 170 millions $ cumulés entre 2000 et 2010 |38| ». C’est le capital sud-africain qui était en fin 2013, le plus dynamique dans les sociétés co-membres avec celle des BRICS, avec ses 36 entreprises en Chine contre 72 chinoises en Afrique du Sud, 54 en Inde contre 115 indiennes en Afrique du Sud, 25 au Brésil et 12 en Russie contre respectivement 4 brésiliennes et 12 russes en Afrique du Sud. Mais, il semble que malgré l’évocation assez fréquente des relations Sud-Sud, de l’ère de la mondialisation néo-libérale, les relations inter-capitalistes ne sont pas, en effet, très développées, comme le laisse entendre aussi Business Africa qui « cherche à établir des partenariats avec des fédérations d’entreprises issues d’économies émergentes comme la Chine, l’Inde, le Brésil et la Russie ».

Toutefois, sans aucunement nier la hiérarchie intra-capitaliste, avec ses drapeaux nationaux, héritée de l’histoire et actuellement en restructuration, avec de petits points marqués par certaines entreprises africaines face à certaines multinationales classiques opérant en Afrique, le compartimentage sous les drapeaux nationaux devrait être relativisé, car il n’y a pas de muraille de Chine entre capitaux à l’heure de la néolibéralisation de la mondialisation. Il y a des participations états-uniennes, européennes dans des firmes chinoises, indiennes, etc., et réciproquement des participations chinoises, indiennes, etc., dans des firmes états-uniennes, européennes. Il y a aussi des participations africaines dans des entreprises européennes et états-uniennes : les IDE africains seraient assez orientés vers l’Europe et les États-Unis. Des participations asiatiques, dont celles des pays du Golfe (situés en Asie occidentale) dans des entreprises africaines : par exemple, les considérées comme asiatiques Olam (Singapourienne) et Wilmar (malaise-singapourienne), numéros 2 et 1 mondiaux de la production d’huile de palme avaient pris des actions chez leur collègue ivoirienne SIFCA ; dans Ecobank, dite la “banque panafricaine” la Qatar National Bank est la première actionnaire avec 23% de parts (suivie par la banque sud-africaine Nedbank, avec 20%) ; en 2015, la chinoise Industrial and Commercial Bank of China a acquis 20% de la sud-africaine Standard Bank. La grande, et de mauvaise réputation, banque britannique, la Hong-Kong and Shangai Banking Corporation (HSBC), (ne) possède (que) 0,039% d’actions de Dangote Cement, moins que le 1,4% du Souvereign Fund Investment Corp of Dubaï, alors que Cascade Investment, L.L.C de Bill Gates fait partie des trois investisseurs états-uniens ayant acheté, en 2013, un milliard de dollars de parts dans Orascom Construction Industries des Sawiris |39| (investisseur dans la télécommunication en Corée du Nord, en partenariat avec cet État – OCI a récemment annoncé son processus de retrait de ce pays, en lien, semble t-il, avec sa tension actuelle avec les États-Unis d’Amérique), la fondation des Zuckerberg (Facebook) a acquis des parts dans Andela (Kenya, Nigeria), etc. Il y a aussi un développement du partenariat entre des banques africaines et chinoises. Ainsi, cette partie de la classe dominante africaine peut être considérée comme participant à la formation de ce que d’aucun•e•s nomment la « classe capitaliste transnationale » |40|, la « classe transnationale et dominante » au niveau mondial.


Une classe dominante fondamentalement différente ?

La croissance de cette classe est célébrée non seulement pour les fortunes qu’elles génère, une sorte de preuve de la capacité des Africain•e•s à réussir économiquement comme celles et ceux d’ailleurs – une considération réagissant à l’idéologie de l’humanité inférieure des (négro-) Africain•e•s –, jusqu’à présenter l’Afrique comme étant la « dernière frontière du capitalisme » |41|, mais aussi parce qu’elle est censée, cette fois-ci, mettre l’Afrique dans la voie de sortie du sous-développement. Le développement de cette classe étant destiné à ruisseler sur les autres classes sociales – au delà de la tranche supérieure de la “classe moyenne” – des sociétés africaines. « Prospérité économique et richesse sociale » comme aime à dire le chantre de l’africapitalisme. 
Des membres de ladite classe ainsi que ses idéologues ne cessent d’évoquer la création d’emplois qui accompagne son supposé essor, comme dans la citation faite plus haut présentant les entreprises africaines comme « la 2e source de création d’emplois sur le continent ».

Ce n’est ni par patriotisme, ni par humanisme que les entrepreneur•e•s privé•e•s créent des emplois, mais pour l’accumulation des richesses, du capital.

En Afrique du Sud, vu son importance dans l’activité économique, le capital privé sud-africain ne peut être localement qu’un grand employeur, sinon le principal employeur privé. Comme l’est dans la société égyptienne le groupe Orascom, considéré comme le premier employeur privé. Cependant, il s’agit d’une création d’emplois qui s’avère insuffisante, comme l’avait déploré, devant le gratin nigérian de l’entreprise privée, la technocrate nigériane, ancienne directrice à la Banque mondiale, alors ministre des Finances du Nigéria, Ngozi Okonjo-Iweala : « “People in this room : if we don’t put our minds to this problem, that we need to create jobs and not just create wealth, you’ll find that the whole economy may be in danger,” she said |42| ». Priorité à l’enrichissement, à l’accumulation, sur la création d’emplois qui est naturelle à la logique capitaliste, mais peut être facteur de soulèvements populaires – eu égard à ce qui venait de se passer en Tunisie et en Égypte. Car, ce n’est ni par patriotisme, ni par humanisme que les entrepreneur•e•s privé•e•s créent des emplois, mais pour l’accumulation des richesses, du capital. Posséder du capital ne suffit pas, pour qu’il produise de l’enrichissement il faut exploiter de la force de travail, dans la production industrielle comme dans le BTP, même dans les télécoms et le secteur financier, il faut des employé•e•s faisant vivre l’entreprise – en attendant le temps très peu probable de la robotisation intégrale –, dans le commerce aussi |43|. Ce sont les travailleurs/travailleuses qui produisent la richesse, non pas les détenteurs/détentrices du capital seul•e•s avec leurs capitaux (bâtiments et machines compris). Une évidence de plus en plus oubliée.

Cette exploitation du travail, dont dépend cette classe dominante, s’accomplit actuellement dans le cadre néolibéral établi par les programmes d’ajustement structurel des années 1980-1990, comprenant, entre autres, la “réforme” des codes ou législations du travail, aux dépens des travailleurs/travailleuses, au profit des “investisseurs”, du patronat. Une flexibilisation poussée du travail antérieure et de même nature que celle que vient de consolider en France le gouvernement d’Emmanuel Macron, à la suite de celui de François Hollande, sans, malheureusement, avoir rencontré de véritable résistance. Pire, les relations de complicité, de corruption, d’identité de classe, entre les investisseurs privés et les gouvernant•e•s, voire la corruption devenue ordinaire des directions syndicales, favorisent la violation de ces dispositions légales pourtant déjà à l’avantage du patronat. Mais, celui-ci semble ne pas en avoir assez, comme l’exprime régulièrement le Forum économique mondial de Davos, concernant l’Afrique du Sud, avec sa législation du travail supposée rigide – en dépit de la tragédie de Marikana |44|. Celles et ceux qui célèbrent ces entrepreneur•e•s millionnaires et milliardaires, oublient toujours de dire que celles-ci/ceux-ci le sont parce qu’elles/ils pratiquent, entre autres, la surexploitation de leurs ouvrier•e•s et employé•e•s. Ainsi, le collectif des travailleurs de l’usine sénégalaise du plus médiatisé de cette classe dominante, avait, dans un communiqué expliquant leur entrée en grève, révélé percevoir les « salaires plus de 20 jours après la fin du mois et en permanence sous la crainte de ne pas percevoir nos salaires mensuels. Après cinq mois de travail dans l’usine nous ne sommes pas encore en disposition de nos contrats malgré plusieurs démarches de régularisation auprès de l’inspection du travail. De ce fait nous ne disposons d’aucun des contrats réglementés par la législation sénégalaise |45| », les indemnités de transport, « heures supplémentaires »« repos médicaux », etc. n’étaient pas payés. En plus existait une discrimination entre travailleurs, susceptible de produire quelque chauvinisme : « Dans cette usine où les expatriés Indiens, Chinois et Égyptiens sont majoritaires et mieux traités que les nationaux expérimentés, la frustration des Sénégalais se justifie parfaitement. Par exemple, tous les expatriés reçoivent leur salaire au plus tard le 2 de chaque mois ». Par parenthèse, le capitalisme africain a eu, en effet, dans certains secteurs, à recourir aux expatriés, dans l’encadrement principalement, en invoquant le déficit de compétences locales nécessaires dans certains pays. Ce qui est en train de se réduire, cédant la place à un « management métissé |46| ». Cependant, à Maurice, par exemple, les ouvrières immigrées de l’industrie textile, en provenance du Bangladesh, sont plutôt surexploitées que privilégiées. Dans d’autres usines du même “tycoon” africain, ailleurs, la situation est loin d’être enviable. Ainsi, en Zambie, on est allé jusqu’à considérer la situation de ses travailleurs comparable à celle des esclaves |47|. De la surexploitation contribue donc au leadership des milliardaires africain•e•s. Ce qui n’a rien d’exceptionnel, étant plutôt une règle – sous des formes diverses et variées – du capitalisme.

La part du travail dans le revenu, à savoir la fraction du revenu national qui revient aux travailleurs sous la forme de salaires et de prestations, baisse partout dans le monde tandis que celle du capital augmente […] le capital est concentré parmi les ménages les plus riches.

Ainsi, des emplois ont été créés certes, non seulement insuffisamment, mais de surcroît ne pouvant être ainsi considérés comme « décents » dans l’acception de l’onusienne Organisation internationale du travail. Selon le directeur du Bureau Afrique de l’OIT, Aeneas Chuma qui considère l’encouragement, depuis 1965, à la création d’emplois décents comme l’une des réalisations de l’OIT en Afrique : « Le travail décent, c’est un travail productif et correctement rémunéré, assorti de conditions de sécurité sur le lieu de travail et d’une protection sociale pour la famille ; un travail qui donne aux individus la possibilité de s’épanouir et de s’insérer dans la société ainsi que la liberté d’exprimer leurs préoccupations, de se syndiquer et de prendre part aux décisions qui auront des conséquences sur leur existence ; un travail qui suppose une égalité de chances et de traitement pour les femmes et les hommes devrait être au cœur de toutes les stratégies de développement |48| ». Certes qu’en prenant à la lettre une telle définition, le travail décent est historiquement une denrée bien rare dans les entreprises privées, au niveau mondial. En dehors de toute problématisation du « travail productif », de la décence et de l’épanouissement dans le salariat, de surcroît dans l’entreprise privée, l’Afrique était encore récemment en peloton de tête des emplois non décents et vulnérables dans le monde – certains États considérant même inutile d’avoir des statistiques en la matière, la situation sociale des populations n’étant pas une de leurs préoccupations prioritaires.

La situation ne peut qu’être pire avec la progression du néolibéralisme, quand même dans les pages de la revue du FMIFinances & Développement, on arrive à reconnaître, mieux vaut tard que jamais, mais sans l’expliquer de façon consistante, que « la part du travail dans le revenu, à savoir la fraction du revenu national qui revient aux travailleurs sous la forme de salaires et de prestations, baisse partout dans le monde tandis que celle du capital augmente […] le capital est concentré parmi les ménages les plus riches |49| ».

Se développe, en général, le phénomène des travailleurs/travailleuses pauvres. Ainsi, si les travailleurs/travailleuses en situation de pauvreté extrême en Afrique sont tendanciellement en très légère baisse de 2016 à 2017, de 29.3% (125.3 millions) à 28.2% (124.1 millions), la tendance est à l’augmentation dans la catégorie des travailleurs en situation de pauvreté modérée, de 28.3% (121,2 millions) à 28,7% (126,4 millions) |50|. Il s’agit grosso modo de 2/3 des travailleurs/travailleuses en Afrique qui sont des travailleurs/travailleuses pauvres. La situation en Afrique subsaharienne étant bien pire qu’en Afrique du Nord.

Ainsi, des luttes se développent en Afrique pour une réduction de l’exploitation. Selon l’édition 2017 des Perspectives économiques en Afrique (p. 144-145), « plus de 3 600 protestations civiles motivées par des considérations économiques et politiques ont été recensées […] entre 2011 et 2016 […] Les motivations sous-tendant les protestations ont été collectées et analysées en détail : entre 2014 et 2016, environ 33% de ces événements sont motivés par des enjeux liés à l’emploi (salaires, conditions de travail et chômage) », les plaçant « en tête des facteurs de protestation ». Certes les revendications d’augmentation salariale concernent aussi le secteur public/d’État, mais elles sont plus importantes dans le secteur privé aussi bien dans la période 2011-2013 que dans la période 2014-2016. Rien n’indique qu’il ne s’agit que des travailleurs des entreprises ou multinationales non africaines.

En dehors d’une infime minorité d’emplois dits “décents” pour la petite-bourgeoisie d’encadrement – célébrée par le discours sur le “boom des classes moyennes en Afrique” –, la croissance du capitalisme indigène s’avère un échec en matière d’emplois, comme l’avait relevé l’alors ministre nigériane Okonjo-Iweala parlant du danger que faisait courir à l’ensemble de l’économie cette croissance enrichissant une minorité sans créer d’emplois – une conscience des conséquences possibles des protestations ci-dessus évoquées, au lendemain des soulèvements populaires en Tunisie, Égypte et au Maroc – et a paru en être conscient aussi Business Africa. À propos desquels on n’insiste pas souvent sur la dimension sociale, surtout les grèves.

Celui-ci a – en compagnie de l’OIE (Organisation mondiale de la santé animale) et de l’OIT, avec entre autres participants, en dehors de presque vingt associations patronales nationales, de la FOPAO (Fédération des organisations patronales d’Afrique de l’Ouest), de l’Organisation régionale africaine de la Confédération syndicale internationale et l’Organisation de l’unité syndicale africaine – organisé en décembre 2015, à Casablanca, un Sommet des partenaires sociaux pour l’Emploi en Afrique. À l’issue duquel a été produit un Livre Blanc qui, par exemple, appelait les « partenaires sociaux » – patronat, syndicats des travailleurs/travailleuses – à un « esprit de responsabilité de part et d’autre pour agir contre le fléau qu’est l’absence de création nette d’emplois décents en Afrique |51| ». Il semble que le souci exprimé pour « l’emploi et l’employabilité », l’instauration d’un « dialogue constructif »basé sur, entre autres, « des comptes officiels et transparents » dans la « Déclaration II de Casablanca pour l’emploi et l’employabilité en Afrique » risquent de ne pas se matérialiser. Les recommandations n’étant nullement contraignantes, chaque entreprise étant plutôt guidée par la recherche du profit, le plus de profit possible, que par la réalisation d’un vague « projet sociétal de renaissance africaine à l’horizon 2063 », la jeunesse ainsi que les femmes d’Afrique, censé•e•s préoccuper particulièrement les organisateurs de ce sommet, vont probablement attendre très longtemps. En cette période où une bonne partie du capital africain, incitée par le discours aussi bien des agences onusiennes (CNUCED, PNUD, OIT) que des institutions financières “panafricaines” |52|/internationales, s’avère plutôt préoccupée par une « intégration des chaînes de valeur mondiales ».

Ironie de l’histoire, ce sommet, censé faire émerger « un véritable programme pragmatique de type “Plan Marshall Emploi et Employabilité », s’est tenu au moment où arrivait à terme l’agenda du travail décent en Afrique (2007-2015) de l’OIT, auquel il n’est nullement fait référence dans les documents publiés. Il y aura sans doute d’autres rencontres sur le travail décent en Afrique, avec des lendemains réservés habituellement aux réunions et recommandations ou résolutions internationales relatives au progrès social des damné•e•s de la terre, aux problèmes écologiques.

Ces capitalistes africain•e•s ont bien appris des seigneurs du capitalisme mondial, de la bureaucratie internationale, qu’afficher sur la scène internationale de bonnes intentions en ces matières – en dépensant des sommes assez importantes pour l’organisation de la participation à ce genre d’événements illusionnistes – a beaucoup plus d’importance qu’essayer d’entreprendre de les réaliser. Comment peut-on développer la création des emplois décents, si la flexibilité du travail, autrement dit le faible coût de la force de travail est un des critères d’attraction des investissements ? Ne faudrait-il pas reformer, dans l’autre sens, les codes/législations du travail reformés de façon socialement régressive (pour les travailleurs/travailleuses) par l’ajustement structurel néolibéral, plutôt que « le respect et l’application du code du travail » (néolibéralisé) recommandés par la Déclaration II de Casablanca ? Autrement dit que les organisations patronales africaines acceptent le principe d’une réduction de leur part dans les richesses produites, d’un supposé bon partage entre le capital et le travail. Une sorte de restauration de ce qui était en vigueur pendant les “Trente glorieuses” dans certaines sociétés capitalistes développées, principalement celles du nord de l’Europe. Ce qui serait décrié aujourd’hui comme étant du “socialisme”, même sans appropriation sociale des grandes entreprises, des grands moyens de production. En fait, le “capitalisme inclusif” dont certaines bonnes âmes capitalistes, à l’instar des africapitalistes, nous rebattent les oreilles. Serait-ce possible sans l’instauration par les travailleurs/travailleuses d’autres rapports de force, aussi bien à l’échelle locale que mondiale, que ceux actuels, d’accompagnement du néolibéralisme par les bureaucraties syndicales dites, à juste titre, “partenaires sociales” du patronat ?

À la limite, certains membres de ladite classe, imitant leurs prédécesseurs d’ailleurs – principalement les fondations états-uniennes, associées au départ aux noms des « barons voleurs » du début 20e (Carnegie, Rockefeller, etc.) – voire les épouses des chefs d’État africains, expriment leur sensibilité à la situation des damné•e•s de la terre par la création de fondations philanthropiques. Il en est ainsi, de la Tony Elumelu Foundation à la Sawiris Foundation for Social Development, en passant par la Khayelitsha Motsepe Foundation, la Rose of Sharon Foundation de Folorunsho Alajika (milliardaire nigériane), la Mansour Foundation for Development. Le Sud-Africain Patrice Motsepe y a placé la moitié de sa fortune, tirée principalement de l’exploitation minière, grâce au Black Economic Empowerment, ce substitut néolibéral au principe de la Charte de la Liberté – qui a guidé la lutte du courant hégémonique du mouvement anti-apartheid, identifié à l’ANC, mais a été finalement mis à la poubelle par l’ANC et ses alliés arrivés au seuil du pouvoir – selon lequel « The mineral wealth beneath the soil, the Banks and Monopoly industry shall be transferred to the ownership of the people as whole ; All other industry and trade shall be controlled to assist the wellbeing of the people ». La fortune de Motsepe tout comme l’existence des familles pauvres auxquelles il apporte de l’assistance sont des produits du choix du néolibéralisme par l’ANC de Nelson Mandela. Tout comme la situation du Nigeria qui fait intervenir les fondations partenaires de Dangote et Bill Gates, est la conséquence du « capitalisme de connivences » nigérian sans lequel Dangote ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui, d’appropriation privée de la richesse publique qui affecte gravement les secteurs sociaux (santé, éducation, emploi, etc.), produit une pauvreté massive, aggravée par l’ajustement structurel néolibéral servi par les institutions financières internationales comme solution à la crise du capitalisme dépendant nigérian. La générosité de Dangote et Bill Gates se manifeste dans des secteurs qui les intéressent en tant qu’investisseurs : l’agro-alimentaire où l’un est actionnaire du semencier Monsanto, très actifdans la campagne pour l’utilisation des semences OGM en Afrique et l’autre un industriel de l’alimentaire ; la santé où la fondation Gates, actionnaire dans l’industrie pharmaceutique a fait de l’entrisme pour une adaptation de l’OMS au néolibéralisme et Dangote a choisi de s’investir en finançant (1,5 millions de dollars états-uniens) la naissance de la Coalition africaine des entreprises de la santé (ABCHealth) dont l’esprit est assez bien défini par l’un de ses dirigeants : « Pour le co-président de son conseil d’administration, Aigboje Aig-Imoukhuede, le projet d’une coalition africaine des entreprises sur la santé est un moyen de relever les défis y afférents qui se présentent à l’entreprise : « ensemble, nous avons l’occasion de démontrer comment investir dans la santé et créer des populations plus saines, peuvent aider les entreprises à maximiser la valeur pour les actionnaires, accélérer la croissance économique et rendre plus rentable l’entrée sur de nouveaux marchés |53| ». Comme nous l’avons déjà relevé plus haut, la finalité ce n’est pas le bien-être des humains, ceux-ci ne sont intéressants que comme moyens au service de la croissance, des marchés.

De façon générale, cette générosité philanthropique, qui certes contribue à sauver des vies humaines, à faire accéder à l’instruction, est un ersatz de réponse à la défaillance sociale des pouvoirs publics produite par le capitalisme dépendant, de connivences, et le diktat néolibéral des institutions de Bretton Woods (Banque mondiale, FMI) et autres bailleurs de fonds. Défaillance dont les conséquences auraient été relativement amoindries, si seulement – en faisant abstraction des réflexes de voleur des gouvernant•e•s – les grandes entreprises ne pratiquaient pas, quasi systématiquement, la fraude, l’évasion et l’optimisation (réduction au minimum) fiscales, malgré une « part des impôts directs dans le PIB qui, actuellement, ressort en moyenne à 6% en Afrique, contre 22% dans les pays développés » (Perspectives économiques en Afrique 2017, p. 74), la tendance générale en Afrique étant pourtant à la taxation régressive. Mais les entreprises semblent plutôt vouloir d’une généralisation à toute l’Afrique de la réalité de paradis fiscal des pays comme le Lesotho, la Namibie, Maurice, la Tunisie.

L’État ghanéen affirme perdre en fraude et évasion fiscales l’équivalent de 50% de son budget. De son côté, selon le FMI, cité par Oxfam, « le Nigeria doit aux pratiques fiscales abusives des entreprises, dont la fraude relative aux redevances de l’industrie extractive et d’autres formes d’activité illicite, de représenter la plus large part des flux financiers en provenance d’Afrique (30.5%), une part qui correspond à 12% de son PIB |54| ».

Cependant, il ne s’agit pas d’un sport réservé aux transnationales d’origine extra-africaine. Les entreprises africaines, dont les dirigeant•e•s sont en permanence célébré•e•s dans la presse économique, par les think-tanks, les cabinets de conseil, en sont aussi souvent des pratiquantes.

Des luttes se développent en Afrique pour une réduction de l’exploitation. Selon l’édition 2017 des Perspectives économiques en Afrique, « plus de 3 600 protestations civiles motivées par des considérations économiques et politiques ont été recensées […] entre 2011 et 2016 »

Ainsi, en 2009, celui qui était alors considéré comme la deuxième fortune du Nigeria, Mike Adenuga (actif dans la téléphonie mobile, les hydrocarbures, etc.) avait « été condamné pour n’avoir pas payé 610 millions de dollars d’impôt |55| ». En même temps que de l’enrichissement sans création suffisante d’emplois, la technocrate néolibérale, alors ministre des Finances du Nigéria, Okonjo-Iwela s’est aussi plainte de la situation fiscale : « the minister said, noting that “75 percent of registered businesses do not pay taxes” |56| ». Quatre ans, plus tard, presque rien n’a changé, à en croire le Conseil Économique National du Nigéria qui, en mars 2017, avait « accusé d’évasion fiscale les personnes fortunées et les multinationales présentes dans le pays » d’avoir instauré depuis plusieurs années « des mécanismes frauduleux, y compris les paradis fiscaux, afin d’échapper à l’impôt » |57|.

Autrement dit, un évident manque à gagner pour le trésor public, facteur d’aggravation de l’incapacité des pouvoirs publics à financer de façon tant soit peu viable la santé et l’éducation publiques. Le Nigeria est en peloton de queue concernant le financement de la santé publique : il « consacre moins de 1% de [son] PIB à la santé. Les dépenses de santé restent inférieures à 15% du seuil des dépenses publiques prescrit au titre de l’Accord d’Abuja de 2001 |58| », signé par les États africains.

Cette évasion fiscale est en fait un refus des membres de la classe dominante, guidé•e•s par la fièvre de l’accumulation et du consumérisme, de contribuer au pot commun (national). Un mépris de classe qui, malheureusement, n’est pas propre au Nigeria. Dans son rapport ci-dessus cité, Oxfam affirme que « les élites africaines organisent des fuites de capitaux plus importantes, par rapport au PIB, que leurs homologues du reste du monde |59| ». Une situation que favorise les connivences des entrepreneur•e•s économiques avec les autorités politiques |60| qui, elles-mêmes, en tant qu’entrepreneures, ignorent d’ordinaire leurs obligations fiscales, vivant dans une contradiction entre leurs statuts de gouvernant•e politique et d’entrepreneur•e économique. Ainsi, à chaque révélation sur les paradis fiscaux (Panama PapersParadise Papers, etc.), apparaissent les noms aussi bien de certain•e•s capitalistes africain•e•s que de leurs compères de classe politiciens.

Certes, la question des inégalités sociales en Afrique ne peut avoir pour principale clef explicative le problème du recouvrement des impôts (directs) par les États africains. Mais si déjà cette classe dominante africaine ne pratiquait pas aussi la délinquance fiscale, sous ses différentes formes, et à condition que les gouvernants cessent de voler, détourner l’argent public |61| – un facteur de l’endettement public extérieur, redevenu critique, par exemple, en Afrique centrale, dans les États de la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (CEMAC), usagère du Franc CFA –, l’action des fondations philanthropiques, leur générosité supposée ne prétendrait pas se substituer à certains devoirs des pouvoirs publics.

Ces actes de générosité, presque toujours mis en spectacle, sans mise à la disposition du public des éléments pouvant permettre d’en comprendre le processus, contribuent, par ailleurs, à la propagande du système économique dominant : c’est de la réussite du secteur privé, de l’existence d’une classe de riches ou de l’enrichissement de quelques individus que dépend la résolution de certains graves problèmes sociaux. Avec la dimension raciale “missionnaire” que peuvent avoir les actions caritatives d’un Bill Gates ou d’une Madonna |62|. Alors qu’avec la croissance du PIB africain moyen pendant une décennie, cet accroissement de millionnaires et milliardaires africain•e•s, ne cessent de se creuser les inégalités sociales en Afrique, bien plus qu’ailleurs.

Parmi les dix-neuf sociétés les plus inégalitaires du monde, dix sont africaines, parmi lesquelles l’Afrique du Sud, la Namibie, le Botswana, le Lesotho, le Swaziland, le Rwanda dont les indicateurs économiques sont d’ordinaire bien appréciés dans les classifications capitalistes

Parmi les dix-neuf sociétés les plus inégalitaires du monde, dix sont africaines, parmi lesquelles l’Afrique du Sud, la Namibie, le Botswana, le Lesotho, le Swaziland, le Rwanda dont les indicateurs économiques sont d’ordinaire bien appréciés dans les classifications capitalistes |63|. Le Nigéria |64| et l’Égypte |65| des millionnaires et milliardaires sont aussi très inégalitaires. Comme partout ailleurs dans le capitalisme néolibéralisé, en Afrique aussi les riches deviennent de plus en plus riches et les pauvres sont davantage pauvres. Concrètement, rien ne fait déroger l’actuelle croissance du capitalisme africain à cette règle du capitalisme normal, malgré le bavardage alimentaire d’une certaine presse sur l’“africapitalisme”, le bavardage sur le “socialisme africain” étant passé de mode.


Domination, culture, panafricanisme

La domination de cette partie africaine du capitalisme en Afrique bénéficie de la faveur de la quasi-totalité de la presse africaine, de sa ferveur pour le capitalisme en général. De la doyenne de la presse panafricaine Jeune Afrique à African Business en passant par African ManagerLes AfriquesForbes Africa, c’est la célébration de la croissance économique africaine, de ces entreprises africaines performantes, et de leurs propriétaires. S’y sont mises aussi, avec des éditions consacrées à l’Afrique, des journaux français à l’instar de La Tribune (La Tribune Afrique), Le Point (Le Point Afrique). Des journaux africains, même édités à Genève ou Paris, participent de cette dynamique, même quand l’emprise des entreprises africaines sur les médias n’est pas en général comparable à ce qui se passe en France, par exemple |66|.

Le Groupe Jeune Afrique, en tant qu’entreprise est l’initiatrice de l’Africa CEO Forum, cette grand-messe du capitalisme africain avec participation des capitalistes non Africain•e•s opérant ou non en Afrique |67|. Sa longue expérience lui permet d’éviter d’exprimer dans ses publications d’autres valeurs que celles du capitalisme ou qui ne lui sont ni incompatibles, ni fondamentalement critiques. Ce qui est valable aussi bien pour les médias du groupe sud-africain Naspers (du milliardaire Koos Bekker) que pour ceux du sénégalais Groupe Futur Media (du richissime chanteur Youssou Ndour). La création, en 2016, par Media Globe Networks de la famille Sawiris de la chaîne de télévision panafricaine Africanews, provisoirement installée à Pointe-Noire (Congo Brazzaville) – sur la lancée de son acquisition de la majorité (60%) d’actions d’Euronews (2015), suivie un an plus tard du licenciement d’une trentaine de salariés – est appelée, par sa diffusion en anglais/français dans 33 pays africains (aucun d’Afrique du Nord), à être un puissant vecteur de la vision bourgeoise du monde contemporain, son programme n’étant nullement organisé pour une conscientisation émancipatrice des téléspectateurs/téléspectatrices.

Comme c’est le cas presque partout, diffusion d’images du monde, des compétitions sportives à l’état des marchés, en passant par l’information habituellement superficielle – non sans présentation de quelques faits, en général décontextualisés et sans histoire, pouvant susciter de l’indignation passagère –, les entretiens avec des chefs d’État (en règle générale des voleurs ou/et criminels concernant les droits humains), les innovations technologiques, la culture kitsch/abrutissante. De quoi conforter les téléspectateurs/téléspectatrices de la classe dominante, voire celles et ceux des classes moyennes dites supérieures, souvent en attente de promotion sociale, et susciter dans les classes populaires des envies d’intégration aux “bourgeois ways of life”. Il ne suffit pas de se dire altermondialiste, anti-néolibéral, féministe ou anticapitaliste, pour échapper à cette influence. Sans toutefois aboutir à un retrait solitaire de la société, la conscience critique devrait concerner aussi son propre rapport quotidien aux délices corruptrices du capital, à ses images structurantes de l’imaginaire. Surtout dans nos sociétés africaines qui sont souvent dépourvues d’espaces de cultures alternatives (radicales) au système.

Les valeurs de cette classe dominante, leurs effets de détournement de la conscientisation critique passent aussi par exemple, par la production cinématographique africaine, objet de consommation populaire. À l’instar de la production vidéo nigériane dite Nollywood – considérée comme « la plus grande source d’emplois après l’agriculture |68| » dans ce pays – assez présente sur les marchés africains subsahariens et qui, comme le dit le dramaturge nigérian Femi Osofisan, « In fact, this is the real criticism of Nollywood, that they have refused to engage social problems for rational perspective. It’s all about mystery, miracle and so on. That’s all and that’s a pity |69| ». De ce fait, il n’est pas surprenant que ces films, comme ceux du même acabit produits dans d’autres pays africains (l’industrie cinématographique voisine, du Ghana, est dite Ghollywood) sont au programme de certaines chaînes télévisées diffusées en Afrique. Et, que des chefs d’État africains y soient intéressés à en croire leur collègue d’alors du Nigéria, Goodluck Jonathan : « chaque fois que je voyage à l’étranger, nombreux sont les collègues qui me questionnent au sujet de Nollywood |70| ». Il n’est pas rare d’entendre des explications mystiques de la victoire de tel candidat à telle élection (de la présidentielle à la municipale), de la nomination à tel poste de direction, du caractère inébranlable de telle clique financièrement prédatrice et particulièrement répressive au pouvoir ou du succès en affaires de tel richissime. Ainsi, prévaut dans certains palais et gouvernements africains, voire liés les uns aux autres, une franc-maçonnerie syncrétique, la franc-maçonnerie étant ainsi assimilée populairement à une sorte de sorcellerie avec ses envoûtements et des sacrifices humains pour se protéger ou réussir dans les affaires que montrent des films de Nollywood. Il n’est donc pas surprenant que l’on trouve dans cette classe dominante africaine des pasteur•e•s néo-pentécôtistes ou néo-évangélistes exorcistes, bénisseur•e•s qui sont en même temps des entrepreneur•e•s millionnaires. Leur influence dans les sociétés africaines à forte population chrétienne est bien pire aujourd’hui qu’au temps où Nkrumah dénonçait « l’évangélisme » comme étant « peut-être une des méthodes les plus insidieuses employées par le néo-colonialisme » (Le néocolonialisme, dernier stade de l’impérialisme).

La question des inégalités sociales est ramenée au niveau individuel. La sortie de la pauvreté est une question individuelle, de foi individuelle, l’enrichissement matériel ou pécuniaire étant une bénédiction divine, selon le courant de l’Église de la prospérité. L’organisation collective pour lutter contre les inégalités sociales, les injustices sociales, est ainsi hors de question. Quand bien même il apparaît que la dynamique des conversions, plus massive à partir des années 1980-1990, est liée à la crise sociale, aux incertitudes de l’avenir, à la fragilité de certaines positions dans des sociétés se caractérisant par ailleurs par des subjectivités corsetées – en mal d’expression plus autonome – et sont touchées par la publicité du consumérisme, illustré par l’ostentation de la richesse matérielle par certain•e•s pasteures. Le magazine états-unien Forbes a aussi sa liste de pasteur•e•s évangélistes africain•e•s millionnaires.

Black Rhino est la branche africaine du premier fonds d’investissement mondial Blackstone, un “fonds vautour”

La même détresse est facteur d’augmentation de la dévotion parmi les musulman•e•s, dont les médias semblent ne s’intéresser qu’à l’infime minorité qui passe à la violence armée djihadiste, de la Somalie à la Tunisie en passant par le Nigéria. Alors qu’en général, les autorités religieuses musulmanes dont certaines appartiennent aussi à la classe dominante, en plus d’être des leaders d’opinion, ne sont pas, évidemment, favorables à une critique du capitalisme, au-delà de celle de certaines de ses mœurs, considérées comme relevant de la supposée culture occidentale plutôt que de la dynamique culturelle du capital ou du pouvoir de l’argent – qu’elles ne peuvent critiquer comme tel, eu égard aux liens historiques entre islam et commerce. Amalgamant ces mœurs avec celles des luttes d’émancipation humaine en général, des femmes en particulier. Cette rencontre du religieux et du capital qu’incarne assez bien Sanusi Lamido Sanusi, l’actuel émir de Kano, ancien gouverneur de la Banque centrale du Nigeria et actuel président du conseil d’administration de Black Rhino, la branche africaine du premier fonds d’investissementmondial Blackstone, un “fonds vautour” |71|. On peut en dire autant des chefs/rois et reines “traditionnel•le•s” dont certain•e•s descendent (biologiquement) des entrepreneurs de la capture pendant la traite négrière évoqués au début.

Sans les considérer comme des membres de cette classe dominante, mais qui se comportent comme si elles/ils leur sont allié•e•s, il y a aussi les tenant•e•s d’un discours panafricaniste, assez petit-bourgeois, celui déjà évoqué plus haut, très sonore en ce moment, qui sert cette classe par le fait, tout en dénonçant de façon impressionniste la domination “occidentale” ou impérialiste, d’occulter la divergence, l’antagonisme des intérêts de cette classe avec ceux des classes populaires (prolétariat, petite paysannerie, couches précaires du secteur informel) |72|, son rôle dans la reproduction des injustices et des inégalités sociales en Afrique. Comme s’il n’était pas déjà assez évident que cette partie africaine de la classe dominante en Afrique, malgré sa subordination devenant relative à la structuration de l’économie mondiale organisée par le centre traditionnel de l’économie capitaliste mondiale, n’est, par ses pratiques dans la jungle de la concurrence, nullement porteuse ne serait-ce que d’un “capitalisme à visage humain” comme il a été dit du capitalisme des sociétés de l’Europe nordique. Que l’affixe “afri” accolé à “capitalisme”, l’africapitalisme auquel sont formé•e•s aujourd’hui des jeunes par le Tony Elumelu Entrepreneurship Programme |73|, ne changera pas la nature du capitalisme, faite de violence à l’égard de la nature, des humains – la force de travail exploitée, les dépossédé•e•s –, voire entre capitalistes (en concurrence) – avec des répercussions, évidemment nocives, sur les salarié•e•s – comme vont le subir inexorablement de nombreuses entreprises africaines, par le fait des Accords de Partenariat Économique (APE) et de la Zone de Libre-échange continentale.

Par exemple, la cinquième édition de l’Africa CEO Forum qui prétendait « Réinventer un African Business Model », autrement dit l’africapitalisme n’a finalement projeté que des lieux communs du discours néolibéral sur la croissance |74| : accentuer l’usage entrepreneurial des technologies de l’information et de la communication (ce qui n’est pas pour déplaire à Bill Gates et à Mark Zuckerberg, déjà en campagne en Afrique à ce propos), la production énergétique et l’électrification (Barack Obama et Tony Elumelu avaient copiné à propos), « des investissements accrus dans l’Agribusiness » (le patron du patronat ivoirien, un agro-businessman, a demandé 0% de taxe pour « les engrais, les semences, les machines », étant ainsi bien plus qu’en phase avec l’Alliance pour une révolution verte en Afrique/Alliance for a Green Revolution in Africa (AGRA) financée par l’USAID, son équivalent britannique, le Département pour le développement international (DFID), la Fondation Bill et Melinda Gates – actionnaire de la transnationale championne mondiale des semences génétiquement modifiées –, la Fondation Rockefeller), subordonner l’éducation scolaire aux besoins des entreprises (l’« adéquation formation-emploi » exigée par le Capital aux États), l’extractivisme.

Ce n’est ni du capitalisme africain, ni de celui de nouvelles puissances du Sud, ni des transnationales d’origine extra-africaine, dominantes, que l’on peut attendre l’émancipation des peuples africains de la domination, des diverses oppressions. 

À propos de celui-ci, selon les journalistes du groupe initiateur dudit Forum : « s’il fallait une preuve que les industries extractives conservent, malgré le coup de chien subi depuis 2014, un fort pouvoir d’attraction sur les gouvernants et les investisseurs le panel consacré à ce secteur aurait convaincu l’observateur le plus sceptique », un gouvernant du Rwanda (bien coté pendant ces dernières années par Doing Business, pour ses réformes en faveur de l’investissement privé), ayant affirmé qu’ « il importe de préparer l’insertion des entreprises africaines dans la chaîne de valeur énergétique et minière en améliorant la formation des hommes et la transparence ».

Comme l’on peut s’en rendre compte, y compris par la référence faite qu’« au coup de chien » (baisse des cours des hydrocarbures et autres matières premières sur le marché mondial et ses conséquences chez les producteurs) par les journalistes de Jeune Afrique, cette réinvention africaine du capitalisme ignore royalement ce que la croissance a fait à la nature non humaine et humaine, les graves risques que sa continuation fait courir. Même si, « Kodeidja Diallo, directrice des opérations avec le secteur privé de la banque africaine de développement (BAD) » tout en « assurant que son institution accompagnera par ses financements et ses conseils le regain espéré » a jugé utile d’ajouter que ce sera « de façon que ni les populations ni l’environnement ne soient les laissés-pour-compte des puits, des forages et des usines de raffinage ou d’enrichissement », il ne s’agit que d’un zeste de préoccupation sociale et écologique, devenue rituelle pour les institutions internationales, sur un paradigme de la croissance écocide et reproducteur accentué des inégalités sociales. Un mensonge destiné aux gogos, eu égard aux pratiques réellement soutenues par cette institution et autres du même acabit, agences des Nations unies comprises. Eu égard à sa dynamique concrète on ne peut que dire de ce capitalisme africain qu’il est « platement, bêtement, cyniquement bourgeois » (Frantz Fanon).

Ce n’est ni du capitalisme africain, ni de celui de nouvelles puissances du Sud, dites émergentes, ni des transnationales d’origine extra-africaine, dominantes, que l’on peut attendre l’émancipation des peuples africains de la domination, des diverses oppressions. Mais des luttes actuellement menées pour une réduction de l’exploitation et des oppressions articulées aux projets de sortie du capitalisme, socialement nocif, écocide et reproducteur d’anciennes oppressions. Ainsi, le caractère panafricain de certaines entreprises africaines et la présence des transnationales d’origine extra-africaine sont une opportunité à saisir pour la construction des solidarités, des luttes communes de leurs exploité•e•s en Afrique, voire d’ailleurs aussi.

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