En France, un demandeur d’asile ne peut travailler qu’après un délai de neuf mois et l’obtention d’une autorisation qui n’est que très rarement délivrée par la préfecture. Le travail illégal est donc légion, tout comme les abus par des patrons des plus indélicats.
Sans-papiers depuis des années, Alioune Traoré connaît bien les affres du travail illégal. “J’ai commencé en Italie dans une région de culture de la tomate où je faisais de la cueillette. J’ai vécu des choses très difficiles”, raconte-t-il. “Il fallait remplir des caisses presque aussi hautes que moi contre 5€ par caisse. J’ai vu certains Burkinabés ou des Polonais se droguer pour tenir plus longtemps et remplir plus de caisses. Il arrivaient à gagner 50€ par jour. Peut-être 60€.”
Accidents, hernies, hémorragies : autour de lui la situation des autres travailleurs n’est que souffrance et lui-même peine à tenir le choc physiquement. Le Sénégalais décide alors de quitter l’Italie pour l’Hexagone en 2011 où il a quelques connaissances. “Une fois en France, pour travailler et signer un contrat, les migrants sont obligés d’emprunter des papiers à un ami, un frère ou un cousin qui est en règle. C’est ce que j’ai fait”, explique-t-il.
Il trouve rapidement un emploi sur un chantier de démolition aux côtés d’une trentaine d’autres sans-papiers. “Ça a duré un an. Puis le patron a été pris par les autorités car il n’était pas en règle lui-même.” Il continue alors les petits boulot jusqu’en 2017. “J’ai commencé à travailler dans une épicerie africaine. La salaire était de 1000 euros par mois pour 60 heures par semaine, c’est beaucoup mais je n’avais pas le choix. Je gérais tout : la caisse, les clients, le nettoyage…” Sans justification, son patron retient 200 à 300€ à chaque paie. Au bout de trois mois, Alioune craque et demande à quitter son emploi. “J’ai voulu réclamer mon argent, le patron me devait 1100€ mais il a répondu : ‘Que vas-tu faire? T’es sans-papier tu ne peux pas aller à la police’. C’est ça la réalité de la vie des sans-papiers en France”, déplore-t-il.
Exploitations par les patrons et risques pour la santé
Grâce à l’aide de la Coalition internationale des sans-papiers et de l’une de ses membres, Françoise Carrasse, Alioune parvient à démêler sa situation et à récupérer son dû. “Ce genre d’exploitation par les patrons est extrêmement courante, même s’ils risquent 100 000€ d’amende. Ils savent que la personne est sans-papiers et ils en jouent afin de les sous-payer”, affirme la bénévole, jointe par InfoMigrants. Nombreux sont ceux qui s’adonnent également aux chèques en bois, selon elle.
Le travail illégal pose aussi un véritable problème sanitaire et social pour les migrants. “En cas d’accident du travail -et ils sont fréquents étant donné qu’ils font surtout des travaux pénibles- les sans-papiers se retrouvent dans des situations souvent dramatiques. Beaucoup reçoivent l’Aide médicale d’État (AME), mais c’est loin d’être suffisant pour couvrir les énormes factures médicales que vous recevez si vous vous cassez quelque chose par exemple”, rapporte Héloïse Mary, juriste et cofondatrice du Bureau d’accueil et d’accompagnement des migrants (BAAM), contactée par InfoMigrants.
Neuf mois d’attente pour une autorisation de travailler qui n’arrive jamais
Parfois même, des réfugiés ou immigrés ayant des papiers en règle choisissent le travail dissimulé, notamment pour continuer à toucher les aides sociales. Même si l’employé n’est pas sanctionné par une amende comme l’employeur, il s’expose à la suppression des aides et aux remboursement des sommes perçues.
Dans le cas des demandeurs d’asile, la loi française impose neuf mois* d’attente avant de pouvoir demander l’autorisation de travailler. Une fois ce délai atteint, la procédure est longue et décourageante. “Pour avoir le droit de travailler, le demandeur d’asile doit avoir sollicité et obtenu une autorisation provisoire de travail, sur présentation d’une promesse d’embauche ou d’un contrat de travail. La durée de l’autorisation de travail ne peut pas dépasser la durée de votre récépissé, qui est de 6 mois. L’autorisation de travail est renouvelable jusqu’à la décision de l’Ofpra*”, indique le gouvernement français.
“Personne n’utilise cette procédure, d’autant que les migrants sont déjà noyés dans les démarches administratives relatives à leur demande d’asile qui prend un an à un an et demi”, affirme Héloïse Mary. “En plus, la plupart du temps, la préfecture laisse traîner les dossiers de demande d’autorisation de travailler. Les migrants ne reçoivent tout simplement aucune réponse, ce qui encourage évidemment les voyous à exploiter des gens non déclarés”, regrette-t-elle.
De vrais papiers ‘loués très cher’ à ceux qui sont en règle
Sans véritable recours officiel possible, le “travail au noir” est donc, bien souvent, l’unique solution trouvée pour survivre. Il est aussi utilisé par les migrants comme outil vers la régularisation. Mais là encore, c’est un véritable parcours du combattant. “Avant, les migrants utilisaient surtout des faux-papiers fabriqués à leur nom, mais depuis la loi Sarkozy de 2007 qui impose aux entreprises le contrôle systématique des papiers des personnes étrangères, c’est un autre système qui s’est développé. Désormais, les sans-papiers ‘empruntent ou louent’ des papiers à d’autres qui sont en règle. C’est ce qu’a dû faire Alioune”, rapporte Françoise Carrasse.
Or, ce système comporte aussi des risques non négligeables, prévient Françoise Carrasse : “Il est très fréquent que la tierce personne qui vous prête ses papiers vous oblige à la payer très cher en compensation. Car avec deux sources de revenus à déclarer elle doit payer des impôts et voit ses aides sociales diminuer ou être supprimées”. S’ajoutent des difficultés supplémentaires pour ceux qui espèrent être régularisés puisque depuis la circulaire Valls en 2012, les sans-papiers doivent justifier d’au moins cinq ans de fiches de paie à leur nom pour prétendre à la régularisation. “En résumé, on demande des fiches de paie à des gens qui n’ont pas le droit de travailler. Cela n’a aucun sens et l’État le sait”, commente Françoise Carrasse.
La bénévole s’est déjà rendue au Mali et au Sénégal pour tenter de prévenir ceux qui sont désireux de se rendre en Europe de la situation réelle qui les attend. “Mais c’est difficile de leur faire comprendre. Ils croient ce qu’ils voient à la télévision. Et ceux qui sont en Europe leur envoient de l’argent ou leur rendent visite les bras chargés de cadeaux alors qu’ils vivent dans la misère en France. Certains sont six ou sept par chambre dans les foyers français”, souligne-t-elle.
Pour Alioune, le combat se poursuit en France. Il aura bientôt accumulé sept ans de preuves (plus ou moins recevables) de travail sur le territoire. Un cap qui, espère Françoise Carrasse, pourra peut-être enfin faire avancer sa situation.