Décryptage : ce qu’il faut savoir sur la nouvelle loi régissant la presse en Côte d’Ivoire
Voté à l’unanimité par les députés ivoiriens le 21 décembre, le nouveau régime juridique de la presse « constitue une avancée majeure », selon Bruno Nabagné Koné, ministre de la Communication, de l’Économie numérique et de la Poste, porte-parole du gouvernement. Faut-il le croire sur parole ? J.A. a passé au crible toutes les mesures de la nouvelle loi.
Pas de peine de prison
La première chose à retenir est le retrait pur et simple de la disposition la plus controversée dans le projet de loi, qui instituait « un emprisonnement d’un an à cinq ans et d’une amende de 300 000 à 3 000 000 de F CFA, quiconque par voie de presse ou par tout autre moyen de publication ; incite au vol et au pillage, au meurtre, à l’incendie et à la destruction (…), à toutes formes de violences exercées à l’encontre de personnes physiques et morales (…) ; incite à la xénophobie, à la haine tribale, à la haine religieuse, à la haine raciale et à la haine sous toutes ses formes».
En mai dernier, face à la colère des organisations professionnelles qui voyaient dans cette disposition, une façon de contourner le principe de dépénalisation des délits de presse et d’étendre la censure à « quiconque », donc au grand public ; le gouvernement avait retiré le texte pourtant adopté, en première lecture, par la Commission des affaires sociales et culturelles (CASC).
Pas d’excuses pour la presse en ligne
Deuxième chose à retenir : la loi prend désormais en compte la presse en ligne, les agences de presse et les envoyés spéciaux. Les journaux numériques et les articles publiés sur les sites Internet sont désormais soumis aux mêmes obligations que les journaux papiers. Toutefois, la loi n’a pas encore défini les conditions de suspension d’un site internet ne se soumettant pas aux obligations fixées aux journaux appartenant aux entreprises de presse légalement constituées. De fait, l’encadrement de la presse en ligne reste encore problématique.
Des conditions de création alignées sur celles d’une SARL
À propos des entreprises de presse (troisième chose à retenir), la loi ne fait plus obligation aux promoteurs de constituer un capital minimal de 5 millions FCFA (7 633 euros). Désormais, une entreprise de presse peut être constituée dans les mêmes conditions qu’une Société à responsabilité limitée (SARL) ordinaire. Toutefois, avant toute parution, l’entreprise de presse doit bénéficier d’un récépissé de régularité, délivré par le procureur de la République. Ce dernier peut refuser de délivrer un récépissé, à condition de donner les raisons de ce refus.
Le directeur de publication doit être un professionnel reconnu
Quatrième chose à retenir : « le directeur de publication doit être un journaliste professionnel de nationalité ivoirienne, avoir une expérience professionnelle d’au moins dix ans, être majeur et jouir de ses droits civils et civiques ». Dans l’ancienne loi, tout citoyen ivoirien, sans être journaliste ou avoir une expérience en matière de presse, pouvait être directeur de publication, ce qui était illogique puisque la loi de décembre 2004, comme celle de décembre 2017, fait de celui-ci le « responsable du contenu du journal ».
L’infraction de diffamation n’est pas constituée lorsque la véracité des faits qualifiés de diffamatoires est établie, sauf (entre autres) lorsque l’imputation se réfère à des faits qui remontent à plus de dix années
L’infraction de diffamation, seul vrai recul du texte
Cinquième chose à retenir : « l’infraction de diffamation n’est pas constituée lorsque la véracité des faits qualifiés de diffamatoires est établie, sauf (entre autres) lorsque l’imputation se réfère à des faits qui remontent à plus de dix années ». Cette disposition farouchement critiquée par les journalistes travaillant pour le compte d’agences de presse qui aiment chuter à la fin de leurs articles sur des rappels historiques, a été maintenue, en dépit de l’amendement introduit par le groupe parlementaire Vox Populi. Les défenseurs des libertés considèrent que le maintien de cette disposition a été fait à dessein, dans un parlement présidé par Guillaume Soro, ancien chef de la rébellion des ex-Forces nouvelles de 2002 et dominé par le Rassemblement des républicains (RDR, dont il est membre), qui compte dans ses rangs, des élus issus des ex-FN. Cette disposition est sans doute le seul cheveu de recul sur la soupe des avancées de la loi.
Maintien du délit d’offense au président
Sixième chose à retenir : le maintien du délit d’offense au président de la République, pour lequel le procureur peut toujours s’auto-saisir. Quant aux sanctions pécuniaires, elles restent élevées (septième chose à retenir). Elles atteignent 15 millions FCFA (près de 30 000 euros), des montants qui n’ont pas baissé depuis l’ancienne loi de 2004.
Aucun motif valable pour détenir un journaliste à cause de son métier
Dernière chose à retenir et qui constitue une réelle avancée : « la garde à vue, la détention préventive et l’emprisonnement » sont exclus, pour « les infractions commises par voie de presse ou par tout autre moyen de publication ». Dans l’ancienne loi, l’emprisonnement était exclu, mais le parquet a souvent utilisé des failles dans la formulation du texte, pour maintenir des journalistes en garde à vue ou en détention préventive, expliquant que la loi le permettait. Désormais, aucun motif valable ne pourrait expliquer la détention d’un journaliste, dans l’exercice de ses fonctions.
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