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Bénin : Patrice Talon, de la « rupture » à une présidence autoritaire

Arrivé au pouvoir en 2016 avec une image de businessman ambitieux fonceur
et moderniste, le président du Bénin, Patrice Talon, est désormais accusé d’avoir
engagé le pays dans un tournant autoritaire.

Ses détracteurs reprochent au chef de l’État un autoritarisme tardif qui ne
passe pas inaperçu dans ce petit pays de 12 millions d’habitants longtemps
cité en modèle de démocratie en Afrique. Chez ses opposants comme au sein de la
société civile, on l’accuse d’être derrière l’exclusion des grands partis
d’opposition – officiellement évincés pour n’avoir pas respecté le nouveau code
électoral – lors des législatives du 28 avril.

Des ONG béninoises ou internationales comme Amnesty dénoncent des
« arrestations arbitraires », « des manifestations réprimées »
avant le scrutin, la coupure d’Internet le jour du vote.

Tout avait pourtant bien commencé. Entrepreneur béninois en vue dont le
patrimoine s’élève à plus de 400 millions de dollars en 2015, selon
le magazine Forbes Afrique,
Patrice Talon n’est pas du genre à s’excuser d’être riche. L’homme a construit
sa fortune et sa réputation lorsqu’il dirigeait un empire agro-industriel
incluant un quasi-monopole sur la filière coton et le contrôle du Port autonome
de Cotonou.

Un parcours de « golden-boy » qui s’est brutalement interrompu
après son implication présumée dans une affaire digne des plus grands
polars
. Longtemps proche de l’ancien président Boni Yayi, dont il
avait financé les deux campagnes présidentielles en 2006 et 2011, le
« roi du coton » est ensuite devenu l’ennemi numéro un du pouvoir pour
des malversations supposées. D’abord accusé d’avoir détourné plusieurs millions
de dollars dans le cadre de ses fonctions, Patrice Talon fut ensuite soupçonné
d’avoir tenté d’empoisonner le chef de l’État sortant, puis d’attaquer l’avion
présidentiel.

« Obsédé par les résultats »

Exilé plusieurs années à Paris, Patrice Talon a attendu que Thomas Boni Yayi lui accorde son pardon pour
effectuer son retour au pays et se lancer dans la course à la magistrature
suprême. Fort de la haine qu’il suscite au palais présidentiel, il se présente
alors comme le candidat à même de tourner la page Yayi, qui symbolise tout ce
que le businessman déteste : une vieille garde gangrénée par « les
affaires », l’immobilisme, et pire que tout le laisser-aller.

Reste que parmi ses soutiens, beaucoup venaient du sérail, selon
l’hebdomadaire Jeune Afrique :
un beau-frère de Boni Yayi (Marcel de Souza), mais aussi quatre anciens ministres
(Napondé Aké, Nassirou Bako Arifari, Kogui N’Douro, Pascal Koupaki) ainsi qu’un
ex-conseiller du président (Chabi Sika).

Aujourd’hui âgé de 61 ans, le président béninois veut représenter une
nouvelle génération de leaders : ceux qui sont persuadés que le continent
rattrapera son retard lorsque les Africains eux-mêmes seront convaincus qu’ils
peuvent y arriver. « Il veut changer les mentalités », explique à l’AFP
son conseiller en communication, Wilfried Houngbedji.

« Obsédé par les résultats », comme il l’a confié dans une
interview, il a renvoyé des dizaines de fonctionnaires à la moindre faute ou
s’ils tentaient de faire ce qu’ils avaient toujours fait : récupérer
quelques bakchichs pour arrondir les fins de mois.

Sur le plan économique, le Bénin affiche une belle croissance de 6,8 %
en 2018, grâce à une formalisation à marche forcée de l’économie
informelle, qui représente la quasi-totalité des sources de revenus de la
petite classe moyenne ou pauvre.

Son cercle restreint est composé d’une poignée de conseillers et de son
épouse qui joue un grand rôle. Ceux qui travaillent à ses côtés, souvent
extérieurs à la sphère politique ou issus de la diaspora, se sont ralliés,
séduits par son ambition pour le Bénin.

« C’est son orgueil mal placé et son esprit de vengeance
malsain qui l’animent »

Mais trois ans après son arrivée au pouvoir, si l’élite continue de voir en
lui un visionnaire, il est détesté par la classe populaire qui lui reproche son
arrogance.

Désormais, chez les intellectuels et même dans le secteur privé, on
s’interroge, les inculpations constantes des opposants, les mesures
d’intimidation contre des voix de la société civile dérangent. Avait-il besoin
de créer une cour spéciale pour éliminer son plus grand adversaire politique,
aujourd’hui en exil, Sebastien Ajavon ?

« Ils ne comprennent plus jusqu’où il va aller. C’est son orgueil mal
placé et son esprit de vengeance malsain qui l’animent, c’est dangereux »,
estime un de ses anciens proches.

Selon des politologues et observateurs du pays, Patrice Talon n’aurait
également pas supporté de voir son projet de réforme constitutionnelle retoqué
deux fois par le Parlement. Il voulait être le premier président africain à
instaurer un mandat présidentiel unique de sept ans. Pour l’opposition, un
moyen de rester au pouvoir. Aujourd’hui, tout le monde attend que les
83 députés issus de la majorité votent le texte.

Pour l’un de ses anciens collaborateurs, la direction donnée à sa
présidence a été fortement marquée par sa rencontre avec le président rwandais
Paul Kagame trois mois après son arrivée au pouvoir. « Il voulait axer son
mandat sur un modèle politique charismatique, il l’a trouvé en Kagame »,
explique cette source.

La comparaison est constante avec Paul Kagame, au pouvoir depuis 2000 et
réélu en 2017 avec 99 % des voix, qui a engagé son pays dans un
développement accéléré, devenu un leader autant respecté que craint chez lui,
davantage qualifié de despote éclairé à l’extérieur.

Mais pour l’instant, l’entourage de Patrice Talon hésite à entretenir cette comparaison aussi flatteuse qu’elle est embarrassante.

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