Contribution du CODDHE : Promouvoir les canaux légaux pour lutter contre la migration clandestine
L’article 13 de la déclaration universelle des droits de l’homme dispose « toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un état. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays ».
Cependant,
des barrières trop restrictives à l’entrée par les pays développés empêchent
les gens de migrer et condamnent des millions d’autres qui choisissent malgré
tout de le faire, un quart du nombre total des migrants, environ, à la
clandestinité. Il s’ensuit un climat d’incertitude et de frustration, tant dans
la communauté des migrants que dans le reste de la population, en particulier
en ces temps de récession aggravé par le Covid 19.
Lorsque
la croissance repartira, la demande de main-d’œuvre étrangère rebondira
également, puisque les conditions démographiques et économiques qui ont amorcé
cette demande seront toujours présentes.
Le
besoin de personnes en âge de travailler dans les pays développés est largement
structurel et durable par nature, et non temporaire. La même règle vaut pour
les emplois à forte rotation de main-d’œuvre dans des secteurs comme la santé,
la construction, le tourisme et l’industrie alimentaire. Si la demande de main-d’œuvre s’inscrit à long terme, alors, du point de
vue à la fois des migrants et de leurs communautés et sociétés de destination,
il est préférable de laisser les gens entrer légalement. Et, dans la mesure où
les migrants peuvent trouver et conserver un emploi, il vaut mieux leur offrir
la possibilité de prolonger leur séjour, plutôt que de les freiner avec des
permis temporaires. Plus les gens
restent longtemps à l’étranger, plus ils ont de chances, eux et leurs
enfants, de développer leur mobilité sociale et économique. Lorsque la présence
des migrants est niée ou ignorée par les gouvernements d’accueil, le risque de
segmentation s’en trouve grandement
accru, non seulement sur le marché du travail mais aussi dans la société
au sens large. Par conséquent, libéraliser et simplifier les canaux migratoires
demeurent nécessaires.
Cela
dit, en quoi peuvent consister la libéralisation et la simplification des
canaux migratoires? Il y a deux grandes voies où la réforme apparaît tout aussi
souhaitable que faisable : les programmes saisonniers ou circulaires et
l’entrée des travailleurs non qualifiés, assortie de conditions de
prolongation.
Le
problème délicat du traitement à réserver aux personnes en situation
irrégulière constitue un troisième volet, avec son lot de possibilités de
changement à étudier. Dans chacun des
cas, la conception spécifique de nouvelles mesures devra être discutée et
débattue au niveau national par le biais de processus politiques visant à
équilibrer les intérêts distincts. Étant donné que les travailleurs hautement
qualifiés sont généralement bienvenus dans la plupart des pays, les réformes
doivent se concentrer sur la circulation des personnes n’ayant pas de diplômes
supérieurs.
La
première voie, déjà explorée par un certain nombre de pays, vise à développer
des structures pour autoriser un travail véritablement saisonnier dans des
secteurs comme l’agriculture et le tourisme. Ici, la planification et la mise
en œuvre des réformes impliquent plusieurs éléments clés, parmi lesquels la
consultation des gouvernements des pays d’origine, l’implication des syndicats
et des employeurs, les garanties salariales de base, la protection de la santé
et de la sécurité, et l’autorisation des visites répétées. Ces éléments sont la
pierre angulaire des programmes qui sont appliqués avec succès au Canada depuis
des décennies, par exemple, et qui ont été introduits en Nouvelle-Zélande. Les travailleurs relevant d’un régime formel
de ce type jouissent généralement d’une meilleure protection que les
travailleurs clandestins. Sur le plan du développement humain, c’est l’un de leurs principaux
avantages.
La
seconde voie, qui suppose des réformes davantage fondamentales, consiste à
multiplier le nombre de visas pour les travailleurs peu qualifiés – en réponse
à la demande des employeurs. Ces visas peuvent être au départ temporaire – ce
qui est d’ailleurs le cas actuellement.
Leur
délivrance peut être subordonnée à une promesse d’embauche ou, pour le moins, à
une certaine expérience professionnelle ou à la volonté de travailler dans un
secteur réputé être en pénurie de main-d’œuvre.
Les
inconvénients que pose la condition des
promesses d’embauche sont les suivants : la décision est de fait déléguée aux
employeurs individuels, les frais de transaction peuvent être plus élevés pour
les migrants individuels et la transférabilité de l’emploi peut devenir problématique.
Il convient par ailleurs de faire acte de prudence concernant les « besoins »
en main-d’œuvre étrangère déclarés par les employeurs. Ces besoins peuvent se
présenter parce que des migrants souhaitent travailler davantage et/ou parce
qu’ils sont plus qualifiés.
Les
employeurs ne doivent pas se servir de la main-d’œuvre migratoire comme d’un
stratagème pour se dérober à leurs obligations légales, qui leur imposent de
protéger la santé et la sécurité de leurs employés et de garantir des normes minimales
dans leurs conditions de travail , des principes qui doivent s’appliquer à
tous les travailleurs, quelle que soit leur origine.
Transférabilité
de l’emploi. Lorsqu’ils sont attachés à des employeurs spécifiques, les
travailleurs ont plus de mal à trouver
de meilleures opportunités professionnelles, ce qui se révèle à la fois
économiquement inefficace et socialement non souhaitable.
L’évaluation
des politiques a révélé que les gouvernements autorisent généralement la
transférabilité de l’emploi pour les migrants permanents hautement qualifiés,
mais pas pour les travailleurs temporaires peu qualifiés. Il y a cependant des
signes de changement. Les Émirats arabes unis ont récemment mis en œuvre des
programmes de parrainage en transférabilité de l’emploi, en réponse à des plaintes
pour abus déposées par des migrants.
La
réforme de la main-d’œuvre immigrée récemment promulguée en Suède, constitue
peut-être l’exemple le plus complet à ce jour de cette transférabilité de l’emploi
et des avantages sociaux : les permis de travail sont transférables et les
migrants qui perdent leur emploi, pour quelque raison que ce soit, ont un délai
de trois mois pour trouver un nouveau travail avant que leur visa ne soit
annulé.
Un
employeur qui recrute à l’étranger cherchera généralement à imposer une
certaine période de non-transférabilité mais, même en ce cas, il y a toujours
moyen d’assurer une certaine flexibilité, par exemple en permettant au migrant
ou à un autre employeur qui souhaite l’embaucher de payer une commission pour
rembourser l’employeur d’origine de ses frais de recrutement.
Droit
de solliciter une prolongation et passerelles vers la permanence. Ce droit sera
laissé au pouvoir d’appréciation du gouvernement d’accueil et, en l’état actuel
des choses, est généralement soumis à un ensemble de conditions spécifiques.
Cependant, la prolongation de permis temporaires est aujourd’hui possible dans de nombreux pays développés (ex.
: Canada, Portugal, Suède, Royaume-Uni et
États-Unis) et dans certains pays en développement (ex. : Équateur et
Malaisie). Le renouvellement illimité des permis peut faire l’objet d’accords
bilatéraux. Certains pays accordent la possibilité aux migrants temporaires
d’acquérir le statut permanent après plusieurs années de séjour régulier. Cette
possibilité peut être subordonnée, par
exemple, aux antécédents professionnels du migrant et à l’absence de
condamnations pénales
Dispositions
pour faciliter la circularité. La liberté de se déplacer entre le pays
d’accueil et le pays d’origine peut apporter son lot d’avantages aux migrants
et à leurs pays d’origine. Ici encore, cette liberté de circulation peut être
subordonnée à la discrétion du gouvernement ou à certaines conditions. La
transférabilité des prestations sociales accumulées constitue un autre avantage
susceptible de favoriser la circularité. Il n’est pas de discussion sur
l’immigration sans la question du statut illégal des migrants.
Diverses
approches ont été appliquées par les gouvernements pour traiter cette question.
Des campagnes d’amnistie sont annoncées et déployées pour des périodes limitées ;
cette approche a été pratiquée dans différents pays d’Europe, mais aussi
d’Amérique latine.
Des
migrants peuvent aussi se voir attribuer un statut légal par le jeu de mécanismes
administratifs discrétionnaires – par exemple, en fonction de leurs liens
familiaux, comme c’est le cas aux États-Unis.
Les
régularisations dites « gagnées », telles qu’elles ont été tentées dans un
certain nombre de pays, ouvrent peut-être la voie la plus viable en la matière.
Elles offrent aux migrants clandestins un permis provisoire qui leur permet de
vivre et de travailler dans le pays d’accueil, initialement pour une durée
limitée, mais qui peut être prolongée ou devenir illimitée moyennant différents
critères à remplir, tels que la maîtrise de la langue, un emploi stable et
l’assujettissement à l’impôt.
Les
expériences européennes variées suggèrent que les principaux ingrédients d’une
régularisation réussie sont, entre autres, l’implication des organisations de
la société civile, des associations de migrants et des employeurs dans la
planification et la mise en œuvre des programmes, la protection des migrants
contre le risque d’expulsion pendant le processus de régularisation et la
définition des critères clairs et précis d’admissibilité (par exemple, durée du
séjour, antécédents professionnels et liens familiaux). Dans la pratique,
toutefois, ce modèle se heurte à de longs délais d’exécution. Avec des procédures
localement administrées, comme en France, les différences de traitement d’un
lieu à l’autre peuvent poser problème.
Les
retours forcés sont particulièrement controversés, leur nombre a vivement
augmenté dans certains pays. Intensément promus par les gouvernements des pays
riches, les retours forcés figurent également dans les partenariats pour la mobilité
mis en place par l’Union européenne. Beaucoup d’États d’origine coopèrent avec
des pays de destination en signant des accords de réadmission certains d’entre
eux, par exemple l’Afrique du Sud, se sont toutefois refusés à les signer. Que devrait-il en être des politiques d’application
pour qu’elles soient humaines ? La plupart des gens considèrent qu’il faut
imposer des sanctions en cas d’infraction au contrôle des frontières et aux
règles du travail et que les retours forcés ont tout à fait leur place, aux
côtés des régularisations discrétionnaires, dans l’arsenal de politiques. Mais
la mise en œuvre de ce système de sanction pose d’importants problèmes,
notamment lorsque les individus concernés vivent et travaillent dans le pays
depuis de longues années et dont certains membres de leur famille sont en
situation régulière. Dans plusieurs pays, dont le Royaume-Uni, les médias se
sont parfois fait l’écho de cas de menaces d’expulsion semblant
particulièrement inhumaines. Il importe évidemment que, lorsque des individus en
situation irrégulière sont identifiés, les procédures appliquées soient
conformes aux principes de l’État de droit et que les droits fondamentaux des
personnes soient respectés. Il convient aussi d’établir la responsabilité des
employeurs qui engagent des travailleurs en situation irrégulière. Cette
question fait l’objet de débats aux États- Unis, par exemple.
La
mise en place de processus formels pour déterminer si des individus ont ou non
le droit légal de séjourner dans le pays est clairement préférable aux
expulsions sommaires ou de masse, telles
qu’on a pu les observer dans le passé, même si certains aspects de procédure,
comme le droit de se faire assister d’un avocat, peuvent parfois entraîner des
dépenses publiques qui sont vues d’un mauvais œil dans les pays en développement.
Au Royaume-Uni, le Prison Inspectorate a publié un rapport sur l’évolution des
détentions d’immigrés (« Immigration Detention Expectations ») fondé sur les
normes internationales en matière de droits humains. Mais une simple
publication ne suffit pas, naturellement, à imposer le respect des normes. Dans
certains pays, des ONG s’emploient à améliorer les conditions de vie dans les
camps de détention. Une directive de l’Union européenne sur les procédures de
retour semble marquer un pas vers la transparence et l’harmonisation des réglementations,
puisqu’elle invoque spécifiquement des procédures normalisées pour expulser des
personnes en situation irrégulière ou pour leur octroyer un statut légal
définitif. Cependant, cette directive a été critiquée, jugée insuffisante pour
garantir le respect des droits humains.
Abdoulaye
Fall expert et consultant
coddhe@gmail.com