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Décideurs africains, osez l’expertise africaine !

Dans huit cas sur dix, un gouvernement africain (davantage francophone !) sollicitera un cabinet international. Il s’appliquera, de toute évidence, à intégrer dans le cahier de charges des conditions restrictives pour les experts locaux. De fait, le secteur public africain pénalisera, dans le cadre de la passation des marchés publics en matière de conseil, les entités du cru. Les raisons sont multiples. Sont-elles autant justifiées ? Tribune de Régis Hounkpé, Analyste géopolitique, directeur exécutif du cabinet InterGlobe Conseils.

L’univers du conseil en Afrique est une jungle. Depuis bientôt deux décennies, plusieurs groupes internationaux de conseil en audit, management, stratégie, communication ou affaires publiques se sont installés sur le Continent et écrasent de toute leur puissance le marché de l’expertise privée, au détriment de jeunes entités créées par des Africains du Continent ou de la diaspora.

Ces mastodontes qui ont flairé le bon filon décrochent des contrats léonins et réalisent des bénéfices exponentiels qui leur permettent d’étendre davantage leur influence. Ainsi, des dirigeants politiques africains, plus enclins à solliciter ces maîtres du jeu, sont prêts à engloutir des fortunes pour une expertise « venue du froid » sur un enjeu ou sujet local, voire tropical.

Dans cette brèche du conseil qui bâille à l’infini, de nouveaux acteurs se sont engouffrés : les personnalités politiques françaises en mal de mandats électifs ou de positions privilégiées dans leur pays. Elles investissent un terrain très opportun fait de mise en scène de son influence (généralement surfaite), d’entregent monnayé à (très) bon compte et finalement de conseils hors-sol délivrés à des entités publiques ou privées.

Au travers de ce phénomène, se lit aisément la relation séculaire entre la France et l’Afrique dans ses rapports « dominé-dominant » et les conséquences sur l’expertise locale des Africains.

Complexe d’infériorité et dédain des «  locaux »

Une veille régulière sur les appels d’offres en matière de conseil offre une vue étourdissante sur les firmes qui ont mis la main sur les contrats de communication, de management, d’évaluation des politiques publiques en Afrique, essentiellement francophone. Elles sont généralement françaises, parfois américaines, assez peu asiatiques et presque jamais africaines. Presque jamais… Enfin, il arrive qu’un cabinet local soit choisi. Au prix de quelle procédure ? A-t-il était obligé d’inclure dans l’équipe d’exécution un proche du pouvoir en place ? Est-il un sous-traitant du sous-prestataire d’un cabinet monté à toute vitesse par un affidé du pouvoir ? Est-il simplement la dixième courroie d’un groupe occidental, préposé à l’intendance et au travail ardu ? Autant de questions que se posent les consultants africains du Continent ou de sa diaspora.

Dans huit cas sur dix, un gouvernement africain (davantage francophone !) sollicitera un cabinet international. Il s’appliquera, de toute évidence, à intégrer dans le cahier de charges des conditions restrictives pour les experts locaux. De fait, le secteur public africain pénalisera, dans le cadre de la passation des marchés publics en matière de conseil, les entités du cru. Les raisons sont multiples. Sont-elles autant justifiées ?

Le nombre d’années d’exercice, les missions réalisées, la qualité de l’organigramme des experts, le chiffre d’affaires, et… les références internationales exigées.

Ainsi, plusieurs cabinets locaux sont obligés de s’associer mécaniquement et de rédiger des requêtes insuffisamment abouties. Ils sont contraints d’inclure dans leurs équipes un nom ronflant et se mettent en quête d’un parrain politique, au détriment de leurs compétences et de la réalité de leur savoir-faire.

L’âge d’or des consultants blancs

Soyons lucides ! Malheureusement, beaucoup de personnalités politiques africaines ne résistent pas à l’attraction illusoire que constituent le background et l’influence de leurs homologues blancs. Ce complexe d’infériorité les guide à choisir prioritairement un expert blanc avant de daigner s’intéresser au consultant africain, qu’il soit noir ou arabe. C’est une vérité que beaucoup taisent par peur de représailles locales ou de mépris sur leurs constats, mais la mentalité de soumis de certains pouvoirs et cercles de décision du Continent est flagrante.

Ainsi, les événements officiels ou autres manifestations de rang sont souvent organisés depuis un bureau d’agence de communication à Paris, Londres ou New York. Les organisateurs en chef sont souvent français, européens, américains et les exécutants sont des locaux. Parfois pour faire bonne mesure, il sera associé au comité d’organisation deux ou trois Africains dont au moins un de la diaspora qui en réalité sont présents pour valider une pluralité de surface.

Prenez tous ces forums sur l’économie africaine, les investissements, la transition écologique ou la révolution numérique, orchestrés par des agences bien introduites au sommet des présidences ou ministères africains… Ils ont généralement dans leurs boards des anciens ministres français ou mieux… Ce sont, nous dit-on, les meilleurs connaisseurs des réalités africaines, ils ne peuvent être que les meilleurs rhéteurs du renouveau africain. La réalité est toute autre. La puissance du carnet d’adresses est le meilleur dopant.

Mais attention, il n’est pas écrit que pour conseiller sur l’Afrique, qu’il fallait être Africain et qu’être Africain prédisposait naturellement à tout savoir du Continent. C’est plus subtil que cela : le marché du conseil n’est pas forcément celui qui est déterminé par l’expression des compétences confirmées, mais assujetti à des considérations subjectives.

Clairement, le relais de croissance qu’est devenu le continent africain n’est pas épargné par la frénésie de la filière des experts européens et américains. Alors qu’il aurait été plus judicieux, même dans un monde qui assume la compétition internationale, que la coopération et la collaboration puissent permettre autant aux Africains et leurs pairs occidentaux de travailler ensemble. Fatalement, l’économie du conseil en Afrique est plus rentable que l’économie elle-même.

Et si on osait… parfois, l’expertise locale

La légitimité du conseil est largement partagée, elle n’a pas de couleur ou de race. Elle est le résultat de connaissances acquises, d’expériences éprouvées, de missions réussies, d’échecs instructifs, d’envie de progresser, d’esprit d’initiative et une bonne dose de sens. Les décideurs africains ont tout intérêt à accorder leurs chances aux diplômés et aux professionnels qui se lancent dans cette aventure. Le gain est multiple : emploi local assuré, reconnaissance des études supérieures et des politiques publiques en matière d’éducation, exploitation d’un savoir-faire empirique, qualité sociologique de terrain, et rétribution raisonnable, voire raisonnée (sans être bradée et bien loin des honoraires gargantuesques).

Il est utile de rappeler que l’expertise internationale peut bien s’accorder avec les talents locaux. C’est tout le travail des décideurs africains de créer les conditions du partage des missions, du transfert des compétences, mais également celui de favoriser l’éclosion des talents locaux par la formation et l’emploi.

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