Un taxi et deux surveillants pénitentiaires non armés. Pour un détenu considéré comme dangereux par les autorités malgaches, le dispositif semble léger. Pourtant, c’est bien de cette façon que Houcine Arfa, incarcéré depuis six mois à la prison d’Antanimora, se rend à une consultation médicale dans un l’hôpital d’Antananarivo. Faute de moyens, la prison ne dispose que d’un seul véhicule cellulaire.Condamné à trois ans de prison ferme pour usurpation de fonction, l’homme aurait fait une tentative de suicide. Il se plaint de diarrhée chronique et de douleurs au genou. La ministre de la Justice en personne signe son autorisation de consultation médicale. Houcine Arfa profite de ce rendez-vous chez le médecin pour s’évader.Il rejoint Mahajanga, sur la côté ouest de Madagascar. Une pirogue, un bateau à moteur… quinze heures plus tard, il se retrouve à Mayotte. Son passeport confisqué, le Français prend l’avion pour Paris, carte d’identité en main. Il touche le sol français le 1er janvier.A Madagascar, il est toujours l’homme le plus recherché. « Individu armé et dangereux. En cas de découverte, procéder à l’arrestation », peut-on lire sur son avis de recherche, encore diffusé dans les médias le 2 janvier. Larguées, les forces de l’ordre apprennent sa fuite vers la France par les journalistes.«L’ombre du président»Mais comment cet illustre inconnu est-il devenu, à 54 ans, l’ennemi public numéro 1 ? Recruté en novembre 2015 par le chef de l’Etat malgache, l’homme est chargé de former la garde présidentielle dans le cadre du sommet de la francophonie.« J’avais la confiance totale du président », explique t-il. « C’était l’ombre du président. Il rentrait dans son bureau sans rendez-vous », décrit maître Christian Raoelina, son avocat malgache.Pourtant, le Premier ministre Olivier Mahafaly et le porte-parole du gouvernement, Harry Laurent Rahajason, déclarent ne jamais l’avoir rencontré.Poursuivi pour détention d’arme et de munitions, association de malfaiteurs, tentative de kidnapping et usurpation de fonction à la suite d’un différend financier avec un ancien ami, il est mis en détention provisoire à la prison de haute sécurité de Tsiafahy. Dans cette maison de force, qu’il qualifie de « véritable camp de concentration », 900 personnes sont incarcérées pour une capacité de 350 détenus. Un seul repas par jour : 200 grammes de manioc. L’homme a perdu 19 kilos en prison.« Les surveillants étaient ivres à longueur de journée », raconte Houcine Arfa avant d’ajouter qu’il a « subi des coups, souvent avec du manioc enroulé dans une serviette humide ».Celui qui se qualifie comme conseiller en sécurité du président est abasourdi par son arrestation. Il se dit victime d’un complot fomenté par les conseillers du chef de l’Etat.
Le régime contre-attaque
Au lendemain de ces déclarations, le 16 janvier, la ministre passe l’après-midi au palais présidentiel de Iavoloha. Rien ne fuite sur cet entretien. Les autorités, embarrassées, s’expriment peu et presque exclusivement par le biais de médias pro-pouvoir.« Houcine Arfa, un petit minable incendiaire », titre La ligne de mire, le mercredi 17 janvier, « La France protège un mercenaire ? », se demande La Dépêche, en Une.L’affaire vire à l’incident diplomatique. L’Etat malgache s’impatiente de l’inaction de la France dans ce dossier. Malgré un mandat d’arrêt international émis le 4 janvier 2018, les autorités françaises n’ont toujours pas arrêté le fugitif.Le président de la République attend cinq jours avant de se prononcer timidement. « C’est à chacun de choisir qui croire : un évadé ou les autorités », a-t-il déclaré. Blessé par celui qu’il considérait comme son ami, Houcine Arfa contacté par téléphone prévient.« Monsieur le président Hery, vous ne mesurez plus les conséquences graves des propos de votre entourage. Je n’ai pas peur d’affronter la justice ; ce n’est pas le cas de votre entourage », a-t-il lancé.Celui qui dit détenir des informations compromettantes dont un enregistrement contre le régime malgache fait savoir qu’il transmettra, sous peu, des documents au Bureau indépendant anti-corruption. Ce dernier mène déjà une enquête concernant les accusations du fugitif.
Désormais Houcine Arfa est devenu l’homme à abattre. Le mot d’ordre est celui de discréditer l’adversaire.« Houcine Arfa a été condamné, à trois reprises, en France, en 2001 pour vol à main armée, coups et blessures et kidnapping », déclare le directeur de la police judiciaire, Alain Bruno Andrianirina, devant la presse, le jeudi 18 janvier.Le principal intéressé admet avoir fait six mois de prison pour violences, en 2001, mais réfute toutes les autres incriminations. Mais alors pourquoi, lors de son recrutement, la présidence n’a pas tenu compte du passé judiciaire de Houcine Arfa ? Y a-t-il eu une défaillance dans son recrutement ?« Non. Personne ne pouvait soupçonner, au moment de l’établissement de la collaboration avec ce monsieur, qu’il irait poser des problèmes au régime actuel », estime le porte-parole du gouvernement, Harry Laurent Rahajason.ContradictionsDe son côté, la procureure tient des déclarations contradictoires. Dans une première version, Odette Razafimelisoa explique que le détenua tenté de la soudoyer, à trois reprises.« C’est le commissaire de la brigade criminelle [Ostrom Whens] qui est témoin de cela et c’est pourquoi j’ai dit que je ne pouvais pas faire ça, que je n’avais pas besoin de ce qu’il me proposait », a-t-elle déclaré.Néanmoins, lorsque nous avons rappelé la procureure avant la publication de cet article, cette dernière a avancé une toute autre version. « Je ne dis pas qu’il [Houcine Arfa] m’a proposé de l’argent mais je dis qu’il m’a envoyé trois fois le chef de la brigade criminelle », a-t-elle affirmé.Jusqu’à maintenant, quatre personnes ont été arrêtées : les deux agents pénitentiaires ayant escorté Houcine Arfa, l’infirmier et le médecin-chef de la prison.
La signature de ce dernier figure sur l’autorisation de consultation médicale, à côté de la signature de la ministre de la justice.Selon la procureure, le médecin-chef a tout fait pour avoir la signature de la Garde des Sceaux. Comment une ministre a-t-elle pu céder aux pressions d’un simple médecin ? Au téléphone, la procureure reste sans réponse. Nous lui demandons pourquoi la ministre de la justice ne fait pas l’objet d’une enquête. Après quelques secondes de silence, Odette Razafimelisoa répond : « Vous êtes à Madagascar, vous êtes à Madagascar … », avant de nous raccrocher au nez.Sollicitée à plusieurs reprises par les journalistes, Elise Alexandrine Rasolo, ministre de la Justice finit par s’exprimer, dimanche 21 janvier, soit une semaine après les accusations de corruption dont elle a fait l’objet.« Le médecin-chef est venu pour l’évacuation sanitaire de Houcine Arfa. Il a dit que le détenu se portait très mal et qu’il avait besoin de soins urgents. Je trouve ça normal d’avoir donné mon avis favorable à son transfert à l’hôpital. Il n’y aucune ingérence là-dedans, c’est une simple histoire de transport à l’hôpital, c’est tout », se défend t-elle.La ministre nie les accusations du Français et a annoncé qu’elle portera plainte pour diffamation.